vendredi 19 septembre 2008

Fraternité en religion et image de "l'autre"

"Dieu ne vous interdit pas d'être bons et équitables envers ceux qui ne vous ont pas combattus à cause de votre foi et qui ne vous ont pas expulsés de vos maisons." (Coran, 60, 8)

"Partant de cela, il (Tirmidhî) propose la définition d'un modèle de comportement dont la formulation paraîtra sans doute familière aux adeptes de Montaigne, et qui correspond par certains aspects à un principe malâmatî : S'adapter en toutes circonstances aux moeurs des gens. A cet effet, "Dieu dit, glorifié et exalté soit-Il : "Ô David, que t'arrive-t-il pour que je te vois seul ?" Il répondit : "J'ai laissé les gens pour Toi, ô Seigneur des univers". "Ne t'ai-je pas indiqué le moyen qui peut t'attacher les coeurs des gens et par lequel tu trouveras mon agrément ?" Il répondit : "Certes, Seigneur." "Comporte-toi avec les gens en fonction de leur moeurs et accroche-toi à la foi au moyen de ce qui se passe entre toi et moi." Ceci est le fondement de la vie en société selon lui : vivre avec les gens en se conformant à leur moeurs tout en s'accrochant intérieurement à la foi en Dieu. Il ajoute enfin : "Cette attitude concerne les incroyants. Qu'en sera-t-il alors en ce qui concerne les croyants ? C'est cela la vie sociale, et ce que Dieu a voulu indiquer dans son sermon à David, le salut soit sur lui." Il est aisé de constater que Tirmidhî adote là une logique éthique tout à fait inverse de celle qui doit régir, selon lui, l'univers intérieur de chacun. En effet, il se fonde, dans le cadre des relations avec "l'autre religieux" sur la prise en compte d'une diversité humaine qui tend vers ce que Lucien Sève appelle "le multiforme compatible", allant vers un élargissement de l'échange qui implique que l'on fasse "dominer l'identité non uniforme sur la domination." En d'autres termes, il offre ici la définition d'une "religion intérieure" susceptible de répondre à un certain nombre d'interrogations actuelles.



A la même époque, des questions semblables se posaient aux chrétiens orthodoxes de Byzance qui avaient adopté une démarche très comparable à celle de Tirmidhî : "L'horreur de toute crise dans les rapports humains guide les byzantins chaque fois qu'ils pressentent un risque d'affrontement. De ce fait, on ne verse jamais dans l'invective à l'égard des musulmans et a fortiori l'oubli du bon ton est inadmissible entre chrétiens." (Alain Ducellier, Le drame de Byzance). Ils optaient donc pour une coexistence harmonieuse avec les musulmans, "Ne confondant jamais l'islam, ennemi religieux à qui on oppose des arguments, et l'Empire musulman, adversaire politique, que l'on est bien forcé de combattre par les armes. Selon leur point de vue, l'affrontement sanglant pouvait toujours être évité, comme le souligne l'empereur Nicéphore I, au début du IX° siècle : Dieu, en effet, ne saurait s'y complaire."


Ibn Hazm a, de son côté, manifesté, à un autre niveau, une preuve d'ouverture à l'"autre" tout à fait remarquable en donnant à ses lecteurs le conseil suivant : "Fais confiance à l'homme pieux, même s'il pratique une autre religion que toi. N'aie aucune confiance en l'homme qui méprise les choses sacrées, même s'il affiche la même religion que toi. A l'homme qui fait fi des commandements du Très-Haut ne confie rien de ce qui te tient à coeur." (Epître morale, 160). La solidarité humaine qu'il envisage dans ce cas relie entre eux les croyants au-delà des apaprtenances religieuses, la foi au sens large devenant chez lui le critère du Bien par opposition à l'athéisme et s'inscrit directement en contrepoint de la notion d'exclusivité de la fraternité islamique telle que l'a décrite A. Leites."


Geneviève Gobillot : Introduction au Livre des nuances ou de l'impossibilité de la synonymie (Kitâb al-furûq wa man' al-taradûf), Al-Hakîm al-Tirmidhî.

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Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.