"Qui croirait qu'un lettré juif du Sud marocain, dénommé Ya'cob Bu-'Ifergan (un patro-toponymique typiquement berbère), artisan bijoutier de son état, séjournant à Aqqa, un point géographique que peu de spécialistes seraient capables de situer sur une carte, saurait méditer sur les grands livres de la Loi écrite et la Loi orale, discuter des grands courants de la mystique juive et serait à même d'apporter une contribution éminemment importante à cette science que lui-même et ses congénères kabbalistes appellent "science de grâce et de vérité", rédigeant, dans des conditions matérielles inimaginables, une oeuvre monumentale où s'associent certes, remarquablement, une multitude de "lectures" possibles du message divin, mais où dominent l'ésotérisme de la kabbale traditionnelle, la théosophie des sefirot et la théurgie d'une interprétation de la Loi et des motifs de ses préceptes (ta'ame ha-miswot "saveurs mystiques des prescriptions scripturaires"), une interprétation où se manifeste l'irruption de l'homme et de ses activités terrestres dans le monde du divin, où fleurissent et se multiplient les techniques arithmologiques (gematriot), les procédés d'isopséphie ou équivalences numériques, les permutations et autres combinaisons des lettres du message (seruf ha'otiyot)."
Les premiers mots de la préface m'ont touchée, toujours par la même émotion qui me prend quand je reçois par la poste le livre d'un auteur qui écrivit à des siècles de là, dans un autre monde, sur parchemin, avec calame, ave cplume, sur papyrus, sur tablette... et maintenant sur papier et aussi sur écran. Les mots et les propos volent de support en support. "Qui croirait qu'un lettré juif du Sud marocain dénommé Ya'cob Bu-'Ifergan, artisan bijoutier de son état, séjournant à Aqqa, un point géographique que peu de spécialistes seraient capables de situer sur une carte" atterrirait un jour dans une boite à lettre farangî ? Même émerveillement qu'à lire Aristote en poche, ou à écouter sur CD les musique du théâtre d'Euripide, ce sont les petits temps qui se conjoignent dans le Grand Temps, les waqt qui retournent au Zaman.
Ethique et mystique