samedi 29 septembre 2012

Écriture


Imaginez un parangon de vertu érasmienne : un garçon hollandais de douze ans, intelligent, convenablement chrétien et curieux d'apprendre la place qui est la sienne dans l'ordre des choses qui prévaut au XVIIe siècle. Les vieux volumes lui eussent appris qu'il était un nouveau Batave, un rejeton d'une vieille souche. Les histoires contemporaines lui eussent rappelé qu'il était d'une génération de martyrs et que le manteau de sa liberté était tout imbibé de sang. Mais le texte imprimé ou l'image n'étaient point seuls à former sa sensibilité. Tous les dimanches (au moins) se déversait du haut de la chaire une cascade rhétorique, invoquant la destinée des Hébreux comme si l'assemblée des fidèles était elle-même une tribu d'Israël. Les lignes de démarcation entre l'histoire et l'Écriture s'estompaient cependant dès lors que l'on attribuait le sens de l'indépendance et de la puissance hollandaise à la Providence qui avait élu un nouveau peuple pour éclairer les nations. Dans cette addition néerlandaise à l'Ancien Testament, les Provinces-Unies apparaissaient telle la nouvelle Sion, Philippe II en roi d'Assyrie et Guillaume le Taciturne comme le pieux capitaine de Juda. Notre garçon, que nous pourrions prénommer Jacob Isaakszoon, Jacob fils d'Isaac, devait comprendre qu'il était Fils d'Israël, l'un des nederkinderen, et qu'il vivrait sous la protection du Tout-Puissant aussi longtemps qu'il observerait ses commandements. C'est par la vertu de l'alliance conclue avec le Seigneur que la nation à laquelle il appartenait avait été délivrée de ses chaînes pour connaître la prospérité et la puissance. Qu'elle s'éloignât des sentiers de la droiture, et elle pouvait compter que Dieu l'abaisserait comme il avait abaissé Israël et Juda avant elle. Le garçon approchant de l'âge d'homme, sa conduite devait illustrer l'acceptation de cette alliance, en conséquence de quoi les bienfaits pleuvraient sur lui.
Dans une large mesure, cette exhortation biblique était l'idiome commun de toutes les cultures calvinistes et puritaines du début du XVIIe siècle. Des Abraham, des Isaac et des Jacob, on en retrouverait à Rouen, Dundee, Norwich et Bâle aussi bien qu'à Leyde et à Zierikzee. Le rejet de l'hagiographie postbiblique autant que de l'autorité légale que revendiquaient les successeurs de saint Pierre à Rome étaient une caractéristique centrale de la Réforme, en sorte que l'Écriture s'en trouvait investie d'une valeur proportionnellement plus grande. Chez les calvinistes et autres dévots de la "Réforme radicale", l'abolition du rite traditionnel et de l'intercession du clergé mais aussi la préférence pour des formes directes de communion donnaient davantage d'importance encore à l'écriture dans le culte. Le train incessant des lectures, chants et exégèses qui se déroulaient dans les églises, écoles et foyers calvinistes familiarisaient les fidèles aux faits et gestes les plus insignifiants des patriarches, juges, rois et prophètes, quand jadis ils s'attardaient à la couleur de la chevelure d'un saint ou au rayonnement de son auréole. De surcroît, liée à l'obsession calviniste de la bonne conduite, la distinction entre la nature entièrement sacrée du Nouveau Testament et le caractère "mondain" de l'Ancien Testament faisait de ce dernier un fond de sagesse exemplaire et de vérité historique sans le moindre soupçon de blasphème. Tout cela avait pour résultat d'arracher l'Ancien Testament à la position qui était la sienne dans la théologie catholique – celle de préface nécessaire, de "deuxième étape" dans la téléologie du péché originel et de l'ultime rédemption – pour rendre au lien entre les deux livres une espèce de symétrie complémentaire. Dans la vision catholique du monde, l'incontournable distinction entre les chrétiens et les juifs, pour ainsi dire, déicides dès le commencement, reléguait dans l'ombre la nature exemplaire des histoires de l'Ancien Testament. Dans la mentalité calviniste, en revanche, l'ultime chronique messianique ne se laissait comprendre qu'à travers l'histoire des juifs, par qui le Tout-Puissant avait manifesté sa volonté.
L'embarras de richesses: Une interprétation de la culture hollandaise au Siècle d'Or

jeudi 27 septembre 2012

dimanche 23 septembre 2012

Komm, du süße Todesstunde


Liebster Gott, wenn werd ich sterben ?





Lu toute l'après-midi l'Éloge de la fadeur. Après 8 mois et demi à ne lire que sur tablette, c'est amusant de retrouver un livre papier. Au reste, je devais faire ça le samedi après-midi, ou quand je suis chez moi : relire mes livres de papier.

jeudi 20 septembre 2012

Madame de Marsantes



C'était une grande dame. Par atavisme son âme était remplie par la frivolité des existences de cour, avec tout ce qu'elles ont de superficiel et de rigoureux. Mme de Marsantes n'avait pas eu la force de regretter longtemps son père et sa mère, mais pour rien au monde elle n'eût porté de couleurs dans le mois qui suivait la mort d'un cousin. 
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 Être grande dame, c'est jouer à la grande dame, c'est-à-dire, pour une part, jouer la simplicité. C'est un jeu qui coûte extrêmement cher, d'autant plus que la simplicité ne ravit qu'à la condition que les autres sachent que vous pourriez ne pas être simples, c'est-à-dire que vous êtes très riches.
A la recherche du temps perdu, tome 3 : Le Côté de Guermantes

dimanche 16 septembre 2012

Warum betrübst du dich, mein Herz ?





Ai fait la connaissance d'Androïd. Verdict : plus jamais ça.


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Un des plus beaux passage de la Recherche.


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Poêlée d'endives, crème, curry, filets de panga.


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J'ai beaucoup plus aimé Conte d'automne, que ceux d'été et de printemps, peut-être parce que les histoires de jeunes m'ennuient, en fait. Cela dit, je me demande pourquoi j'aime bien regarder les films de Rohmer alors que les 3/4 de ces personnages sont de vraies têtes à claques.



samedi 15 septembre 2012

Si un souvenir, un chagrin qu’on a, sont capables de nous laisser au point que nous ne les apercevions plus, ils reviennent aussi et parfois de longtemps ne nous quittent. Il y avait des soirs où, en traversant la ville pour aller vers le restaurant, je regrettais tellement Mme de Guermantes, que j’avais peine à respirer: on aurait dit qu’une partie de ma poitrine avait été sectionnée par un anatomiste habile, enlevée, et remplacée par une partie égale de souffrance immatérielle, par un équivalent de nostalgie et d’amour. Et les points de suture ont beau avoir été bien faits, on vit assez malaisément quand le regret d’un être est substitué aux viscères, il a l’air de tenir plus de place qu’eux, on le sent perpétuellement, et puis, quelle ambiguïté d’être obligé de penser une partie de son corps!  À la moindre brise on soupire d’oppression, mais aussi de langueur.
A la recherche du temps perdu, tome 3 : Le Côté de Guermantes

dimanche 9 septembre 2012

Es ist nichts Gesundes an meinem Leibe




Grenadins de veau gratinés au chèvre, purée de pommes de terre et d'oignons à la crème.

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Je lis dans le blog de Christophe André ces mots très juste sur l'artificialité de l'année qui débute en janvier, alors que tout le monde vit le recommencement au mois de septembre :

 je m'aperçois en écrivant ce billet que je continue de raisonner comme un écolier. Pour moi, une année commence en septembre, à la fin de l'été et au moment de la rentrée scolaire. Rien à faire pour me convaincre que le début d'une année se situe le 1er janvier : cela ne dit rien à mon corps, à mes émotions, à mes souvenirs. Alors que le passage des vacances à l'école ou au travail, le sentiment de l'été finissant, tout cela, oui, sonne pour moi comme une transition majeure et un véritable changement. Progressif et naturel, comme tous les vrais changements, et non soudain et artificiel comme les douze coups de minuit entre 31 décembre et 1er janvier. 

 C'est exactement ce que je ressens et le blues de la nouvelle année c'est en septembre que je l'éprouve, janvier n'est pour moi que la mi-année.

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À 6 h du matin, le lis un mail de Mirella qui m'annonce sa propre mort. Drôle d'impression. Il y a des gens qu'on imagine mal devoir partir si subitement. Comme une couleur tragique qui leur va mal. C'est quelqu'un qui semblait aimer la vie, la gourmandise, les amoureux… Je l'ai jamais vue qu'affable, modeste. Une bonne personne, comme on dit. Le genre qu'on n'imagine pas passer autrement que du bon côté de la Lumière.

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Pensées de rentrée : Penser à remaigrir, m'occuper, tenter une vie 'saine' voir comment ça fait, de vivre comme les gens 'exemplaires' ; comme une curiosité.

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Magrets de canard aux figues et vin rouge, pommes de terre sautées.
Tarte prunes, miel, fleur d'oranger, pavot.

mardi 4 septembre 2012


Autrefois, pour tâcher d'isoler ce talent, je défalquais en quelque sorte de ce que j'entendais le rôle lui-même, le rôle partie commune à toutes les actrices qui jouaient Phèdre et que j'avais étudié d'avance pour que je fusse capable de le soustraire, de ne recueillir comme résidu que le talent de Mme Berma. Mais ce talent que je cherchais à apercevoir en dehors du rôle, il ne faisait qu'un avec elle. Tel pour un grand musicien (il paraît que c'était le cas pour Vinteuil quand il jouait du piano), son jeu est d'un si grand pianiste qu'on ne sait même plus si cet artiste est pianiste du tout, parce que (n'interposant pas tout cet appareil d'efforts musculaires, ça et là couronnés de brillants effets, toute cette éclaboussures de notes où du moins l'auditeur qui ne sait où se prendre croit trouver le talent dans sa réalité matérielle, tangible) ce jeu est devenu si transparent, si rempli de ce qu'il interprète, que lui-même on ne le voit plus, et qu'il n'est plus qu'une fenêtre qui donne sur un chef-d'œuvre. (Du Côté de Guermantes).

A la recherche du temps perdu, tome 3 : Le Côté de Guermantes

Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.