Le côté gnan-gnan, moralisateur et un peu fayot d'Abû Bakr Kalâbâdhî, qui veut absolument ramener tous les soufis dans le courant "modéré", en atténuant les écarts des pires malamatî, ne peut pas toujours cacher l'insolente fulgurance des rires ou haussements d'épaules de certains fuqara...
J'aime bien les réponses de Chiblî où le questionneur ne devait plus savoir quelle était sa question une fois qu'Abû Bakr Dhulaf eut répondu :
"On posa à Chiblî la question : "Pourquoi les soufis ont-ils été appelés de ce nom ? - Parce que, répondit-il, on les a désignés par un mot qui existe, pour les définir et pour affirmer leur qualité, bien qu'ils ne soient (en réalité) désignables que par la disparition de tout caractère définissable et qu'en ce qui les concerne il ne reste plus d'eux que le nom, qui les définit et qui affirme qu'ils sont qualifiables."
Sur le repentir et l'oubli, la grande arme de certains fakirs...
"Interrogé sur ce qu'est le repentir, Junayd ibn Muhammad répondit : "C'est l'oubli de ta faute." Sahl, lui, avait dit : "C'est que tu n'oublies pas ta faute." La parole de Junayd signifie : que tu expulses si bien de ton coeur la saveur de cet acte qu'il n'en reste aucune trace au fond de ton être, et que tu te retrouves comme si tu ne l'avais jamais connu."
Selon Ruwaym : "Le sens du repentir, c'est que tu te repentes du repentir."
Sur le renoncement :
"Interrogé sur le renoncement, Chiblî s'écria : "Malheureux ! quelle importance a donc ce qui vaut moins qu'une aile de moustique, pour que vous y renonciez !" De même, ABû Bakr Wâsitî : "Avec quelle fureur abandonnes-tu un lieu de déjection ! Jusqu'à quand emploieras-tu cette fureur à te détourner de ce qui ne pèse pas plus pour Dieu qu'une aile de moustique !"
Interrogé encore sur le même sujet, Chiblî déclara : "Il n'y a aucun renoncement, en réalité. Ou bien en effet l'ascète renonce à ce qui ne lui appartient pas, et alors ce n'est pas du renoncement. Ou bien il renonce à ce qui lui appartient, mais comment y renoncerait-il, puisqu'il l'a avec lui et chez lui ? Il ne s'agit donc que de s'abstenir, de donner généreusement, et de partager équitablement (ses biens)." Ce qui revient à considérer le renoncement comme le fait de négliger ce qui n'est pas à soi, or ce qui n'est pas à soi ne saurait être négligé (matrûk) puisqu'en fait il l'est déjà, et ce qui est à soi, il n'est pas possible de le négliger."
Sur la remise confiante (tawakkul) :
"Cela signifie, d'après un soufi éminent (Hallâj), que : "La réalité profonde du tawakkul, c'est l'abandon du tawakkul", c'est-à-dire : que Dieu soit pour eux comme Il était quand ils n'existaient pas.
Un grand soufi (Hallâj) demanda à Ibrâhîm al-Khawwâs" : "Jusqu'où t'a conduit le soufisme ? - Jusqu'à la remise confiante. - Malheureux ! Tous ces efforts pour, finalement, la prospérité de ton ventre !"
Traité de soufisme
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