lundi 25 août 2008

Jeanne la Pucelle et le Bourgeois de Paris


Jeanne d'Arc, 1429, par Clément de Fauquembergue

On eût bien étonné, et même hautement scandalisé le clerc auteur du Journal d'un Bourgeois de Paris, si on lui avait dit, en 1429, quand Jeanne vint mettre, avec les Armagnacs, le siège devant Paris, qu'elle serait canonisée presque cinq cents ans plus tard. Déjà parce que, depuis un quart de siècle, Paris, gouverné par Bourgogne et puis l'Anglais, souffre cruellement des exactions des Armagnacs, qui se comportent pis que "Sarrasins" envers les villes, villages, et le peuple qu'ils rançonnent, massacrent, violent, torturent, affament. Or cette Pucelle, "pleine de feu et de sang, de meurtres de chrétiens", est à leur tête et vient attaquer Paris, sacrilège de plus, le jour de la "Nativité de Notre-Dame", en menaçant de mettre tous les Parisiens à mort s'ils ne se rendaient. Mais cette impudence là est vite punie car les troupes armagnacques échouent : "En vérité, Paris n'avait disposé pour cet assaut d'aucun homme d'armes, sinon de quarante ou cinquante Anglais qui firent très bien leur devoir, et les Parisiens s'emparèrent de la plus grande partie du charroi dans lequel l'ennemi avait amené ses bourrées. Rien de bon ne pouvait leur advenir pour avoir voulu faire une telle tuerie le jour de la sainte Nativité de Notre-Dame."

L'Anglais, le Bourguignon, le Dauphin, au fond le clerc s'en fiche, il ne voit que désolations pour le pays, tandis que les Grands que le sort des pauvres indiffère donnent de somptueuses fêtes payées par de lourdes tailles supportées par les Parisiens ; les seigneurs sont des seigneurs de la guerre, guère mieux que les routiers et les brigands, parfois les mêmes. Aussi, le camp du roi Henri l'Anglais n'est ni pire ni meilleur que celui du Dauphin, sauf que ce dernier est allié aux Armagnacs et qu'il les déteste. Mais tous les soldats sont criminels, chevaliers ou capitaines et en plus, pillards d'églises et quelle que soit leur nation, c'est bonnet blanc et blanc bonnet :

"Il ne se passait guère de quinzaine sans que trois ou quatre cents Anglais, ou plus ou moins, ne vinssent à Paris, mais ils étaient toujours défaits et mis à mort dès qu'ils allaient sus aux Armagnacs. Ils attribuaient cela au fait que, pendant le siège d'Orléans, le comte de Salsebry avait pillé et fait piller l'église Notre-Dame de Cléry et que, par malheur, il était mort bientôt après, tué par un boulet de canon ; le siège, qui avait coûté si cher, avait dû être levé et beaucoup des leurs avaient été tués et capturés. De même, ils furent presque tous tués et pris après le sac de l'église Saint-Côme à Luzarches, puis à Chelles-Sainte-Baudour. Et cependant, qu'ont-ils fait à l'église de Saint-Maur-des-Fossés et partout où ils purent avoir le dessus ? Les églises sont pillées de telle sorte qu'il n'y reste plus ni livres saints, ni calices, ni reliques d'or, d'argent ou de tout autre métal ; ils jettent soit le corps de Notre-Seigneur, soit ces reliques. Tout leur est indifférent et ils s'emparent même des vêtements. IL n'y a plus personne qui ne soit maintenant en armes pour quelque parti, français, anglais, armagnac, bourguignons ou picard, et rien n'échappe à leurs rapines, à moins que ce ne soit trop chaud ou trop lourd. C'est grand' pitié et grand dommage que les seigneurs ne soient pas d'accord et si Dieu n'en a pitié, toute la France est en grand danger d'être perdue. De toutes parts, on y gâte les biens, on y tue les hommes, on y allume des incendies. Il n'y a pas d'étrangers ni de Français qui ne disent : Dimitte, mais cela va toujours de mal en pis, comme on s'en aperçoit."

Aussi quand Jeanne est prise, "on lui démontra tous les grands et douloureux maux, qui, par sa faute, étaient advenus dans la chrétienté et surtout au royaume de France, comme chacun sait : elle était venue assaillir Paris qu'elle voulait mettre à feu et à sang ; le jour de la Nativité de Notre-Dame, elle avait commis et fait commettre plusieurs grands et énormes péchés ; à Senlis, et ailleurs, par son hypocrisie, elle s'était fait idolâtrer par le peuple qui, dans sa simplicité, la suivait comme une sainte pucelle parce qu'elle leur avait donné à entendre que le glorieux archange saint Michel, sainte Catherine, sainte Marguerite et plusieurs autres saints et saintes lui apparaissaient souvent et lui parlaient amicalement, non comme un Dieu se révèle parfois, mais corporellement et de bouche à bouche."

Or ce qui a dû paraître le plus blasphématoire et scandaleux aux yeux de notre clerc, c'est de prétendre que les archanges et les saints, et Dieu, donc, aient pu ordonner de tuer des chrétiens. Car c'est cela que déplore tout le long de la guerre le narrateur : ce n'est pas une guerre nationale, mais une guerre fratricide, c'est une tuerie de chrétiens par des chrétiens. Même les guerres contre Sarrasin et autres païens n'ont jamais été si bien vues qu'on imagine, alors imaginez ici... D'autant plus que la Pucelle n'a pas l'air encline à la douceur si on la contrarie :

"C'est ainsi qu'elle arriva jusqu'au roi de France, lui disant qu'elle était venue sur l'ordre de Dieu, qu'elle le ferait le plus grand prince du monde, mais qu'elle lui demandait de donner l'ordre de tuer sans merci tous ceux qui lui désobéiraient. Saint Michel et plusieurs autres anges lui avaient donné, disait-elle, une très riche couronne pour le roi, ainsi qu'une épée, mais elle ne la lui remettrait pas avant la fin de la guerre. Elle chevauchait tous les jours avec le roi, seule femme parmi tous ces gens de guerre, vêtue, montée et armée comme un homme, un gros bâton en main. Quand l'un de ses gens se méprenaient, elle frappait dessus à grands coups de bâton, comme une femme très cruelle."

"En plusieurs endroits, elle fit tuer des hommes et des femmes, soit dans une bataille, soit volontairement, car elle faisait mourir sans pitié, quand elle le pouvait, tous ceux qui n'obéissaient pas à ses lettres. Elle répétait et affirmait ne rien faire que sur l'ordre de Dieu, ordre transmis très souvent par l'archange saint Michel, sainte Catherine ou sainte Marguerite, non pas comme Notre Seigneur fit à Moïse au mont Sinaï, mais en lui disant en propre les secrets de l'avenir."

La semaine où elle fut brûlée, "le plus mauvais, le plus tyrannique et le moins pitoyable de tous les capitaines armagnacs fut pris par de pauvres compagnons et enfermé au château de Dourdan. A cause de sa méchanceté, on l'appelait La Hire."

On ne le dira jamais assez, le Moyen-Âge a haï la guerre, comptée au rang des trois fléaux majeurs, avec la peste et la famine (le trio étant souvent inséparable). Ceux qui ont besoin de la guerre, ce sont les chevaliers, et eux seuls, car c'est leur raison d'être. Face à eux, comme dit Marc Bloch, dans La Société féodale, ils ont "l'horreur du sang versé, qu'enseignait l'Eglise ; la notion traditionnelle de paix publique ; le besoin surtout de cette paix." De fait, qui fut jamais dupe de ce rôle de protecteur des faibles que l'Eglise s'efforçait de faire endosser à la chevalerie ? "en un temps d'échanges rares et difficiles, pour devenir riche, quel moyen plus sûr que tantôt le butin et tantôt l'oppression ? Toute une classe dominatrice et guerrière vivait surtout de cela et un moine, froidement, pouvait faire dire à un petit seigneur, dans une charte : je donne cette terre "libre de toute redevance, de toute exaction ou taille, de toute corvée... et de toutes ces choses que par violence les chevaliers ont coutume d'extorquer aux pauvres..."(Cartulaire de Saint-Aubin d'Anger, éd. B. de Broussillon, t. II, n° DCCX, 1138, 17 sept.).

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Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.