"Pour les Qarmates, héritiers en cela de Abû'l-Khattâb, l'imâm attendu était, à la fois, la présence divine en la personne d'un descendant de Muhammad, l'homme de l'achèvement des temps, celui qui rétablirait le règne adamique et paradisiaque de Dieu sur sa terre. Le maître direct de Sejestanî, Abû Abdallâh al-Nasafî (m. 331/942 ou 332/943) n'avait-il pas professé que Adam, le premier prohète, était venu porter une religion spirituelle et non une loi positive ? L'antinoméisme des Qarmates transparaît dans cette théorie de la prophétie, où l'origine comme la fin de l'histoire sont placées sous le signe de l'effacement de la Loi."
Après la destruction d'Alamût :
"Le shî'isme radical des Qarmates et des Nizarîs ne pouvait se satisfaire de l'absence, même provisoire, de l'imâm. Mais, aussi bien, sa manifestation extérieur était-elle devenue impossible, ou pire, se révélait, en son essence, impossible. La thèse de henry Corbin est que l'intériorisation de l'imâm au coeur du fidèle "nous reconduit en même temps au problème des origines du soufisme et de sa théosophie."
"Indiscutablement, son effort théorique a pour visée l'Un suressentiel, la "nature" de sa "transcendance" et les modes de la manifestation de son unité. Dans l'ordre théologique, ce "super-être", comme le nomme Henry Corbin, cet Un qui se délivre de toute participation à l'être, à l'essence ou à l'existence, s'homologue au Dieu caché. Henry Corbin montre comment la révélation du Dieu caché des Ismaéliens prend la forme de la Première Intelligence dans la théologie fatimide et, lors de la réforme d'Alamût, se réfléchit dans l'imamat éternel.
Quelle différence entre ces deux types de manifestation ? Dans la théologie fatimide, la Première Intelligence est, à son tour, référée à la dignité prophétique. Le prophète correspond à l'Intelligence. L'imâm s'homologue à l'Âme universelle, qui procède de l'Intelligence. Ainsi, existe-t-il une procession humaine qui correspond à l'ordre des manifestations de l'unité divine, Intelligence, Âme.
La réforme d'Alamût consiste pour l'essentiel en ce que, désormais l'imâm exprime directement l'impératif divin, au-dessus de l'Intelligence et de l'Âme, en compénétration avec ces deux régimes de l'existant. L'imâm de la Résurrection prend dès lors le pas sur le prophète. La révélation visible de l'essence divine, dans la personne du Résurrecteur, excède le sens obvie, clair, apparent de la parole divine, tout comme son sens caché, ésotérique, lequel fut transmis, cycle après cycle, par la filiation de l'imamat."
Trilogie ismaélienne, trad. Henry Corbin, présentation Christian jambet.
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