S'opposant aux dualistes (Guèbres) de toute sorte, Mazdéens, Zoroastriens, Manichéens, Nasir od-Dîn pose le mal comme accident, ce qui rappelle un autre aphorisme : "Le Bien est ta coutume, ô mon Dieu ! le Mal est ton décret." Mais s'il démarre par des métaphores "écume", "particules de boue" pour illustrer le côté transitoire, inconsistant qu'il accorde au mal, la fin de sa démonstration, évoque fortement le cycle solaire diurne ou annuel, par la régularité infaillible du déclin de la ténèbre sur la lumière, et ainsi laisse en suspens une question qui brûle les lèvres. Quand le Mal a entièrement "fondu" devant la Lumière, que se passe-t-il ? Les Guèbres, eux, disent que tout recommence, comme le cycle solaire passe invariablement par une course, de l'apogée jusqu'à la déréliction, puis la renaissance solsticiale. Pour le moment, Nasir od-Dîn ne nous dit rien de la fin des fins. Attendons de voir où il nous mène...
"Voici encore : le bien effuse du Donateur du bien par essence et le mal a lieu par accident. Par exemple, le bien est comme un grain de blé qu'on sème dans la terre et qu'on arrose. Tandis que le mal est comme l'écume qui, dans le flux de l'eau, consiste en particules de terre. On sait que cette écume apparaît dans le flux de l'eau et non à la source ou dans la substance même de l'eau. Tout se passe parfois comme si la présence dominante de l'écume était si forte que l'on ne voie plus l'eau, qu'on imagine qu'il n'y a plus d'eau du tout et que tout n'est qu'écume. Eh bien, parfois le mal domine et triomphe, il est si puissant que le bien en vient à ne plus être perçu et l'on imagine qu'il n'existe pas de bien du tout et que tout est mal. On est tout près de penser que la lumière du bien s'éteint et que la corruption s'est répandue sur le monde.
Voici l'une des preuves de ces assertions : au commencement, le bien est faible mais il est fort à la fin, tandis que le mal est fort au commencement, faible à la fin. C'est pourquoi, lorsque le bien commence à exister, lui qui est faible alors, le mal se manifeste à lui dans toute la force qu'il possède au commencement. Comme le bien est plus faible, le mal se montre plus puissant, jusqu'à ce qu'au terme il s'avère que la puissance du bien qui est venue graduellement à l'existence atteigne sa fin, et que le mal ne soit plus rien et ne devienne plus rien."
Nasir od-Dîn Tusî, La convocation d'Alamût: Somme de philosophie ismaélienne = Rawdat al-taslim (Le jardin de la vraie foi), chap. XIV, IV, Du bien et du mal, trad. Christian Jambet.
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