On était en mars et c'était pourtant l'hiver encore, un des plus froids que j'ai connu. Dans ce trou du cul du monde à la frontière iranienne. Dans la ville, des congères d'un mètre de neige, et l'hôtel sans chauffage, avec un lavabo minuscule dans la chambre, et son filet d'eau glacé, qui allait nous dissuader de nous laver. Ce qui fait qu'entre garde à vue à l'hôtel, arrestation, expulsion, pendant 4 jours, on promènerait nos cheveux gras et nos fringues froissées et sales, de vrais clodos.
Dans leur bureau, aussi glacé qu'à l'extérieur, plus encore, un seul poêle avec une chaleur quasi-inexistante. Je garde mon anorak et fourre mes mains dans mes poches en frissonnant. Autour, les militants, pas mal d'anciens combattants, ça se voit tout de suite, en blouson et chaussures de montagne, décontractés. On boit du thé bouillant, morceau de sucre dur entre les dents (bonjour les carries dentaires, ai-je pensé).
C'est alors qu'il est entré dans le bureau.
Splendide.
Par moins dix (température ressentie en tous cas), costume sombre, chemise claire, cravate élégante. Rien d'autre, pas même une gabardine.
J'ai beau le détailler je ne vois pas le moindre défaut, pas le plus petit laisser-aller. Ses cheveux noirs, épais, avec des fils blancs sont impeccablement coupés, sa moustache toute aussi soignée. Une gravure de mode.
Le maire de cette ville, dans son bureau politique.
Qui va être arrêté cette nuit. Il le sait, il nous le dit. D'ailleurs ils vont tous être arrêtés, ils le savent.(Et nous consignés à l'hôtel et expulsés mais ça on le sait pas, et d'ailleurs ça n'a aucune importance).
Et donc ce splendide député-maire sera arrêté ce soir et va passer la nuit (et plusieurs peut-être) au poste, entre les mains de la douce police et peut-être des forces spéciales qui, cagoulées, patrouillent la ville et l'extérieur. Et lui, parce qu'il est MAIRE, ELU DEMOCRATIQUEMENT, au lieu de s'habiller en chaud, met son beau costume de député en attendant que les brutes qui eux, se torchent avec la démocratie, viennent l'embarquer et le foutre dans une cellule aussi froide (et même plus) que son bureau, le foutre à poil aussi sans doute, le tabasser peut-être, en riant bien "t'as l'air malin hein monsieur le maire avec ta démocratie dans l'anus ?"
N'empêche, classe jusqu'au bout des ongles, les yeux noirs, pétillants, avec cette malice spéciale un peu fataliste mais jamais dure des gens bien qui en bavent, il nous offre ses marlboro, boit le thé, sans grelotter dans ses vêtements alors que moi j'ose à peine sortir une pogne de mes manches.
Parce que ce que l'on va l'arrêter cette nuit, c'est la démocratie, monsieur, pas un combattant, pas un révolutionnaire qui pourrait brailler sa haine du système toute la nuit , mais un MAIRE ELU.
Dans les campagnes électorales, déchiquetés à la grenade par les Sections spéciales le soir d'un meeting, ou bien avec 14 balles dans le corps quand on vient sonner à leur porte, ou bien torturés en garde à vue, n'empêche, ils seront plusieurs comme ça : costume-cravate, programme électoral en main, affiche, fonction en bandoulière et respectabilité affichée et outrée qui attire les coups sur la gueule : je suis député, maire, président de parti, président de syndicats, je suis ELU.
J'apprécie les bons combattants mais je ne les admire pas. j'aime profondément les gens des réseaux, les résistants et leurs rendez-vous la trouille au ventre. Mais ceux que j'admire vraiment, ce sont les civils qui assument leur fonction de civilité. Parce qu'ils ne peuvent même pas se défendre. Cible vivante, ils sont le porte-drapeau des batailles, tout le monde peut leur tirer dessus, ils n'ont pas le droit de répondre, ils sont les règles, la loi, la démocratie.
Dans leur bureau, aussi glacé qu'à l'extérieur, plus encore, un seul poêle avec une chaleur quasi-inexistante. Je garde mon anorak et fourre mes mains dans mes poches en frissonnant. Autour, les militants, pas mal d'anciens combattants, ça se voit tout de suite, en blouson et chaussures de montagne, décontractés. On boit du thé bouillant, morceau de sucre dur entre les dents (bonjour les carries dentaires, ai-je pensé).
C'est alors qu'il est entré dans le bureau.
Splendide.
Par moins dix (température ressentie en tous cas), costume sombre, chemise claire, cravate élégante. Rien d'autre, pas même une gabardine.
J'ai beau le détailler je ne vois pas le moindre défaut, pas le plus petit laisser-aller. Ses cheveux noirs, épais, avec des fils blancs sont impeccablement coupés, sa moustache toute aussi soignée. Une gravure de mode.
Le maire de cette ville, dans son bureau politique.
Qui va être arrêté cette nuit. Il le sait, il nous le dit. D'ailleurs ils vont tous être arrêtés, ils le savent.(Et nous consignés à l'hôtel et expulsés mais ça on le sait pas, et d'ailleurs ça n'a aucune importance).
Et donc ce splendide député-maire sera arrêté ce soir et va passer la nuit (et plusieurs peut-être) au poste, entre les mains de la douce police et peut-être des forces spéciales qui, cagoulées, patrouillent la ville et l'extérieur. Et lui, parce qu'il est MAIRE, ELU DEMOCRATIQUEMENT, au lieu de s'habiller en chaud, met son beau costume de député en attendant que les brutes qui eux, se torchent avec la démocratie, viennent l'embarquer et le foutre dans une cellule aussi froide (et même plus) que son bureau, le foutre à poil aussi sans doute, le tabasser peut-être, en riant bien "t'as l'air malin hein monsieur le maire avec ta démocratie dans l'anus ?"
N'empêche, classe jusqu'au bout des ongles, les yeux noirs, pétillants, avec cette malice spéciale un peu fataliste mais jamais dure des gens bien qui en bavent, il nous offre ses marlboro, boit le thé, sans grelotter dans ses vêtements alors que moi j'ose à peine sortir une pogne de mes manches.
Parce que ce que l'on va l'arrêter cette nuit, c'est la démocratie, monsieur, pas un combattant, pas un révolutionnaire qui pourrait brailler sa haine du système toute la nuit , mais un MAIRE ELU.
Dans les campagnes électorales, déchiquetés à la grenade par les Sections spéciales le soir d'un meeting, ou bien avec 14 balles dans le corps quand on vient sonner à leur porte, ou bien torturés en garde à vue, n'empêche, ils seront plusieurs comme ça : costume-cravate, programme électoral en main, affiche, fonction en bandoulière et respectabilité affichée et outrée qui attire les coups sur la gueule : je suis député, maire, président de parti, président de syndicats, je suis ELU.
J'apprécie les bons combattants mais je ne les admire pas. j'aime profondément les gens des réseaux, les résistants et leurs rendez-vous la trouille au ventre. Mais ceux que j'admire vraiment, ce sont les civils qui assument leur fonction de civilité. Parce qu'ils ne peuvent même pas se défendre. Cible vivante, ils sont le porte-drapeau des batailles, tout le monde peut leur tirer dessus, ils n'ont pas le droit de répondre, ils sont les règles, la loi, la démocratie.
Merci Sacha.
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