vendredi 13 juillet 2007

No, no es cierto que solo Dios basta


Sur la méfiance de l'église catholique envers l'angélologie et le combat de l'avicennisme latin, qui de façon inattendue, trouve un renfort avec la révolution copernicienne, objection majeure de Corbin : le Ciel d'Occident en devient, du coup, mortellement emmerdant et dépeuplé :

"Déjà en son monumental ouvrage, Pierre Duhem avait montré que la révolution astronomique qu'entraînait l'adoption de la théorie de Copernic, présupposait une révolution théologique. Or ce qui tourmentait la théologie officielle, les critiques et les sarcasmes du théologien Guillaume d'Auvergne nous montreront que c'était essentiellement toute la théorie des Intelligences et son aboutissement : la doctrine de l'Intelligence agente illuminatrice des âmes humaines, - bref toute l'angélologie. La théologie allait combattre tout émanatisme, revendiquer l'acte créateur comme une prérogative de Dieu seul, mettre fin au soliloque de l'âme humaine avec l'Ange Intelligence agente. Seulement, toute la cosmologie était solidaire de l'angélologie. Rejeter celle-ci, c'était ébranler les bases de celle-là. Or, c'est précisément ce qui servait au mieux les intérêts de la révolution copernicienne. L'on assiste donc à une alliance de la théologie chrétienne et de la science positive en vue d'anéantir les prérogatives de l'Ange et du monde de l'Ange dans la démiurgie du cosmos. Après cela, le monde angélique ne sera plus nécessaire de nécessité métaphysique ; ce sera comme un luxe dans la Création, d'une existence plus ou moins probable. Sans doute l'on aura vengé les droits du monothéisme rigoureux, mais en même temps aussi l'on aura créé une nouvelle situation de l'homme dans le cosmos, laquelle aura des conséquences déplorables pour l'un des alliés. Les Cieux auront été laïcisés, dépeuplés de leurs présences angéliques. La Terre devenue une planète comme les autres, se sera plus sous les Cieux mais en plein Ciel. Dès lors, qui s'intéresserait à l'"orientation" dont Hayy ibn Yaqzân, par exemple, dispense l'enseignement ? Pourtant l'Orient vers lequel il s'oriente, l'homme n'a cessé de le chercher plus ou moins obscurément."

Voilà, un Ciel uni, plus de froufrous et de lumières d'anges, et surtout plus de rapports personnels, exclusives, presque jaloux, entre une âme humain et son double céleste, lesquels étaient naturellement, de par la diversité des âmes, multiples, voire inégaux, là non il s'agit finalement d'un amour parental, strict, égalitaire, comme on découpe un gâteau en parts rigoureusement identiques, pas de "préférences". C'est plus juste, plus réconfortant pour les fervents de l'égalitarisme, plus puéril aussi, et ça manque d'un certain sel pour les mystiques et les âmes gnostiques :

"La théologie exotérique peut mettre en lumière la relation commune des hommes avec leur Père commun, ou leur service commun envers le Roi tout-puissant. Il s'agit toujours là d'une relation commune à tous, partagée entre tous, situant chacun à équidistance du centre, pour ainsi dire. Mais l'expérience de l'âme mystique ne se satisfait que d'un "seul à seul" avec l'Aimé, car l'amant ne peut partager son aimé ; elle implique ce que l'on a voulu dire ici par individuation, - une individuation dont l'aspect est, certes, tout autre que celui qui en philosophie est traité au chapitre de l'individuation des Formes par la matière."

Ce Ciel d'un monothéisme ennuyeux à force d'être strict (comme disait Cavanna dans Les Ecritures : "C'est grandiose. Mais un peu sec.") me rappelle une réflexion que j'avais laissé échapper un jour où parlant avec un ami, j'avais fait une allusion aux sept âmes de Sejestanî. Devant son étonnement, j'avais expliqué cette pluralité des âmes, allant de trois à sept, tant pour les Grecs que pour nombre de musulmans et même Thomas d'Aquin, en ajoutant machinalement : "Oui en Occident on a qu'une âme maintenant, on se fait chier." C'est un peu pareil pour le Ciel nettoyé de ses Anges, et comme conclut Henry Corbin, citant Eugenio d'Ors : "No, no es cierto que solo Dios basta" (Non, il n'est pas certain que Dieu seul suffise).

Avicenne et le récit visionnaire Henry Corbin ; chap. II : Avicennisme et angélologie : avicennisme latin et avicennisme iranien.

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Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.