Tous les chats sautent à leur façon
« Oui, l’écriture est une nécessité intérieure qui vient à bout d’une résistance intérieure. J’écris toujours pour moi et contre moi. Pour mettre une chose par écrit, j’attends toujours qu’elle soit inéluctable. Je retarde le moment de l’écriture, sachant que dès le début, elle m’envahira tellement que j’en aurai peur. Une fois que je suis dedans, elle m’avale complètement. Le langage abolit le temps, il embarque le vécu dans une recherche méticuleuse du mot, de la cadence, de la sonorité. Cette minutie a sa rudesse, et une force d’attraction à laquelle je n’arrive pas à échapper ; mais comme elle est aussi enveloppante, je crois qu’elle me sauvegarde. Ce magnétisme de l’écriture existe pour de bon, sinon j’y aurais renoncé depuis des années. Si je parle de rudesse, c’est peut-être aussi parce que je ne choisis pas mes sujets, qu’ils doivent beaucoup à l’arbitraire extérieur, à cette vie volée. Je parle de sauvegarde, sans doute parce que je me pose cette question : suis-je moins atrocement à la merci du vécu parce qu’au bout du compte, ces mots si difficiles à trouver me viennent en aide ? Les mots engendrent une sorte de soif des mots : de nouveaux vocables se forment, et ils me montrent des choses qu’autrement je n’aurais pas vues. »
Herta Müller. Tous les chats sautent à leur façon: Entretien avec Angelika Klammer
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