dimanche 30 décembre 2012

Gottlob ! nun geht das Jahr zu Ende






Reçu Routes et Déroutes de Nicolas Bouvier et le dvd de la Passion de Jean par Harnoncourt. Les deux me font très plaisir.







Ces jours, les derniers de l'année, au clair-obscur si particulier.


Commencé Pourquoi donc être chrétien ? de Timothy Radcliffe. Sympathique mais pas très convaincant, pour le moment, en ce que le christianisme prêcherait quelque chose de si radicalement différent par rapport aux courants moraux et religieux du monde qui, finalement, disent à peu près tous la même chose. Seule la pratique varie. 

 J'ai plus d'enthousiasme à la lecture de Bouvier qui, lui, est vraiment un maître de sagesse.

jeudi 27 décembre 2012

L'érotomane angélique



La Confiance : Quand la terre physique, matérielle mais aussi psychique s'effondre ou se lézarde, il y a aussi un sol dessous le sol. Ce soubassement c'est la Confiance. 
Confiance dans une réouverture des portes, dans un retour du ciel et de l'air. 
Ces gens à qui on vient d'arracher le cœur. Le fond même fracassé de la vie délivre une étrange douceur. Parfois. Les paquets de nuit comme des paquets de ténèbres ou d'eau glacés.
Mais : 
Cette chose qui arrive n'est pas dans la mémoire mais dans l'expérience. Le corps la porte tout le temps.
Victime très heureuse d'une sorte d'érotomanie angélique : À certains moments, dans le Présent, les portes se rouvrent à nouveau.
Toujours en lutte entre Confiance et Mélancolie qui est la pomme rouge du conte, tendue par la sorcière : douceur très persuasive et dangereuse, amenée par le Monde, le Noir. Il est possible qu'elle ait une très bonne saveur, il ne faut pas la croquer. Sans doute, dans un premier temps. 
Je suis en bataille, en permanence, mais mes alliés sont innombrables.
Dans l'enfance, tout se préparait : j'ai accumulé du temps creux, du temps vide. Regarder les passants, derrière une vitre, accepter qu'il ne se passe rien, l'expérience de fond. Attendre sans attendre. Une attente creuse, non aveuglée par des espérances, presque un état d'enfant abandonné. 
Un assassin blanc comme neige, Christian Bobin.

(Péguy à Alain-Fournier :

"Mon petit, oui, il faut être plus que patient, il faut être abandonné.")

Le Christ, c'est un drôle de gars. Jésus : un nomadisme de l'âme.

Notes prises à l'écoute des Racines du Ciel, avec Christian Bobin.

Épistolier


Je suis très épistolier, raison pour laquelle je ne crains pas les séparations prolongées.

Routes et déroutes, Nicolas Bouvier.

vendredi 21 décembre 2012

Faal


De la branche du droit cyprès le Rossignol patient, à nouveau jeta ce cri : "Loin du visage de la Rose le mauvais œil !" 
Rose, puisque Tu es reine en beauté, sois reconnaissante : ne sois pas hautaine avec les Rossignols perdus d'amour fou. 
De Ton Absence je ne me plaindrais pas : tant que manquera l'Absence, il n'y aura saveur de présence. 
Si les autres jouissent heureux d'une belle vie de gaieté, pour nous, le chagrin pour le Bien-Aimé est ferment de joie. 
Si l'ascète espère rejoindre houris et châteaux paradisiaques, pour nous, la Taverne est palais, le Compagnon houri. 
Bois au son de la harpe, ne te chagrine pas, et si quelqu'un te dit de ne pas boire de vin, réponds : "Dieu est celui qui pardonne !" 
Hâfez, qu'as-tu à te plaindre du chagrin de la Séparation ? Dans l'éloignement est l'union, dans la ténèbre la lumière !

mardi 18 décembre 2012

Le vicaire amoureux


Le temps des ordinations étant venu, M. Gâtier s’en retourna diacre dans sa province. Il emporta mes regrets, mon attachement, ma reconnaissance. Je fis pour lui des vœux qui n’ont pas été plus exaucés que ceux que j’ai faits pour moi-même. Quelques années après j’appris qu’étant vicaire dans une paroisse, il avait fait un enfant à une fille, la seule dont, avec un cœur très tendre, il eût jamais été amoureux. Ce fut un scandale effroyable dans un diocèse administré très sévèrement. Les prêtres, en bonne règle, ne doivent faire des enfants qu’à des femmes mariées. Pour avoir manqué à cette règle, il fut mis en prison, diffamé, chassé.


Les Confessions, Rousseau.

vendredi 7 décembre 2012

Fantômes


Frans Hals,
v. 1625,
 huile sur toile,
 musée d'art oriental et d'Europe occidental,
Odessa


Je revenais par ces chemins d’où l’on aperçoit la mer, et où autrefois, avant qu’elle apparût entre les branches, je fermais les yeux pour bien penser que ce que j’allais voir, c’était bien la plaintive aïeule de la terre, poursuivant, comme au temps qu’il n’existait pas encore d’êtres vivants, sa démente et immémoriale agitation. Maintenant, ils n’étaient plus pour moi que le moyen d’aller rejoindre Albertine, quand je les reconnaissais tout pareils, sachant jusqu’où ils allaient filer droit, où ils tourneraient ; je me rappelais que je les avais suivis en pensant à Mlle de Stermaria, et aussi que la même hâte de retrouver Albertine, je l’avais eue à Paris en descendant les rues par où passait Mme de Guermantes ; ils prenaient pour moi la monotonie profonde, la signification morale d’une sorte de ligne que suivait mon caractère. C’était naturel, et ce n’était pourtant pas indifférent ; ils me rappelaient que mon sort était de ne poursuivre que des fantômes, des êtres dont la réalité, pour une bonne part, était dans mon imagination ; il y a des êtres en effet — et ç’avait été, dès la jeunesse, mon cas — pour qui tout ce qui a une valeur fixe, constatable par d’autres, la fortune, le succès, les hautes situations, ne comptent pas ; ce qu’il leur faut, ce sont des fantômes. Ils y sacrifient tout le reste, mettent tout en œuvre, font tout servir à rencontrer tel fantôme. Mais celui-ci ne tarde pas à s’évanouir ; alors on court après tel autre, quitte à revenir ensuite au premier. Ce n’était pas la première fois que je recherchais Albertine, la jeune fille vue la première année devant la mer. D’autres femmes, il est vrai, avaient été intercalées entre Albertine aimée la première fois et celle que je ne quittais guère en ce moment ; d’autres femmes, notamment la duchesse de Guermantes. Mais, dira-t-on, pourquoi se donner tant de soucis au sujet de Gilberte, prendre tant de peine pour Mme de Guermantes, si, devenu l’ami de celle-ci, c’est à seule fin de n’y plus penser, mais seulement à Albertine ? Swann, avant sa mort, aurait pu répondre, lui qui avait été amateur de fantômes. De fantômes poursuivis, oubliés, recherchés à nouveau, quelquefois pour une seule entrevue, et afin de toucher à une vie irréelle laquelle aussitôt s’enfuyait, ces chemins de Balbec étaient pleins. En pensant que leurs arbres, poiriers, pommiers, tamaris, me survivraient, il me semblait recevoir d’eux le conseil de me mettre enfin au travail pendant que n’avait pas encore sonné l’heure du repos éternel.

mercredi 28 novembre 2012

Les musiciens de Chantepie


Pour avoir moins chaud nous prenions par la forêt de Chantepie. L'invisibilité des innombrables oiseaux, quelques-uns à demi marins, qui s'y répondaient à côté de nous dans les arbres donnait la même impression de repos qu'on a les yeux fermés. A côté d'Albertine, enchaîné par ses bras au fond de la voiture, j'écoutais ces Océanides. Et quand par hasard j'apercevais l'un de ces musiciens qui passaient d'une feuille sous une autre, il y avait si peu de lien apparent entre lui et ses chants que je ne croyais pas voir la cause de ceux-ci dans le petit corps sautillant, humble, étonné et sans regard.
A la recherche du temps perdu, tome 4 : Sodome et Gomorrhe, Proust.

mercredi 21 novembre 2012

On s'en fout

La femme Barbie n'est pas totalement refaite.

M. de Charlus et saint Michel




« Est-ce que vous comptez rester longtemps sur la côte ? demanda Mme Verdurin à M. de Charlus, en qui elle pressentait un fidèle et qu'elle tremblait de voir rentrer trop tôt à Paris. – Mon Dieu, on ne sait jamais, répondit d'un ton nasillard et traînant M. de Charlus. J'aimerais rester jusqu'à la fin de septembre. – Vous avez raison, dit Mme Verdurin ; c'est le moment des belles tempêtes. – À bien vrai dire ce n'est pas ce qui me déterminerait. J'ai trop négligé depuis quelque temps l'Archange saint Michel, mon patron, et je voudrais le dédommager en restant jusqu'à sa fête, le 29 septembre, à l'Abbaye du Mont. – Ça vous intéresse beaucoup, ces affaires-là ? » demanda Mme Verdurin, qui eût peut-être réussi à faire taire son anticléricalisme blessé si elle n'avait craint qu'une excursion aussi longue ne fit « lâcher » pendant quarante-huit heures le violoniste et le baron. « Vous êtes peut-être affligée de surdité intermittente, répondit insolemment M. de Charlus. Je vous ai dit que saint Michel était un de mes glorieux patrons. »
A la recherche du temps perdu, tome 4 : Sodome et Gomorrhe

mercredi 14 novembre 2012

'un médecin de la famille sait rendre bien des petits services'



Le shake hand plein d’émotion que, en pénétrant dans le vestibule de  la Raspelière, et en manière de condoléances pour la mort du pianiste, Brichot donna au Patron ne provoqua de la part de celui-ci aucun commentaire. Je lui dis mon admiration pour ce pays. « Ah! tant mieux, et vous n’avez rien vu, nous vous le montrerons. Pourquoi ne viendriez-vous pas habiter quelques semaines ici? l’air est excellent. » Brichot craignait que sa poignée de mains n’eût pas été comprise. « Hé bien! ce pauvre Dechambre! dit-il, mais à mi-voix, dans la crainte que Mme Verdurin ne fût pas loin. — C’est affreux, répondit allègrement M. Verdurin. — Si jeune», reprit Brichot. Agacé de s’attarder à ces inutilités, M. Verdurin répliqua d’un ton pressé et avec un gémissement suraigu, non de chagrin, mais d’impatience irritée:  « Hé bien oui, mais qu’est-ce que vous voulez, nous n’y pouvons rien, ce ne sont pas nos paroles qui le ressusciteront, n’est-ce pas? » Et la douceur lui revenant avec la jovialité: « Allons, mon brave Brichot, posez vite vos affaires. Nous avons une bouillabaisse qui n’attend pas. Surtout, au nom du ciel, n’allez pas parler de Dechambre à Mme Verdurin! Vous savez qu’elle cache beaucoup ce qu’elle ressent, mais elle a une véritable maladie de la sensibilité. Non, mais je vous jure, quand elle a appris que Dechambre était mort, elle a presque pleuré », dit M. Verdurin d’un ton profondément ironique. À l’entendre on aurait dit qu’il fallait une espèce de démence pour regretter un ami de trente ans, et d’autre part on devinait que l’union perpétuelle de M. Verdurin avec sa femme n’allait pas, de la part de celui-ci, sans qu’il la jugeât toujours et qu’elle l’agaçât souvent. « Si vous lui en parlez elle va encore se rendre malade. C’est déplorable, trois semaines après sa bronchite. Dans ces cas-là, c’est moi qui suis le garde-malade. Vous comprenez que je sors d’en prendre. Affligez-vous sur le sort de Dechambre dans votre coeur tant que vous voudrez. Pensez-y, mais n’en parlez pas. J’aimais bien Dechambre, mais vous ne pouvez pas m’en vouloir d’aimer encore plus ma femme. Tenez, voilà Cottard, vous allez pouvoir lui demander. » Et en effet, il savait qu’un médecin de la famille sait rendre bien des petits services, comme de prescrire par exemple qu’il ne faut pas avoir de chagrin. 
Cottard, docile, avait dit à la Patronne : « Bouleversez-vous comme ça et vous me ferez demain 39º de fièvre », comme il aurait dit à la cuisinière :  « Vous me ferez demain du ris de veau. » La médecine, faute de guérir, s'occupe à changer le sens des verbes et des pronoms.
A la recherche du temps perdu, tome 4 : Sodome et Gomorrhe

mardi 6 novembre 2012

On s'en fout

Françoise Hardy n'a pas dit ce qu'elle avait dit.

Étranglement



Les approches du bonheur sont, pour les vrais amants, comparables à ce que la poésie catholique a si bien nommé l’entrée du paradis, pour exprimer un lieu ténébreux, difficile, étroit, et où retentissent les derniers cris d’une suprême angoisse.
Modeste Mignon, Balzac.

dimanche 4 novembre 2012

Was soll ich aus dir machen, Ephraim?








 An Angel At My Table, j'adore. Je ne m'attendais pas à ça de la part de Jane Campion en repensant à La Leçon de piano.




L'idée me vient soudain, un matin, café en main que si je regarde les films en plusieurs fois, et très rarement tout d'une traite – trait que je partage avec Mademoiselle Frog – c'est qu'en fait, nos regardons les films en lectrices, et pas forcément parce que le cinéma nous ennuie si vite, comme nous le croyions jusque-là. Nous les lisons comme des livres d'images. 

Avec l'heure d'hiver, on se dit 'au moins, pas de marmot braillard' pour hurler son ventre vide. Mais voilà : chat triplement gueulard et outragé devant gamelle par ailleurs pas du tout vide.

'Ah, if he could only die TEMPORARILY!' (Tom Sawyer).

jeudi 1 novembre 2012

Jugement, pardon et promesse


Examinons comment se prend une décision. Elle se prend d'elle-même quand je parviens à mettre en accord mes besoins et mes désirs avec les divers éléments de la situation dans laquelle je me trouve – ou plutôt : quand tout cela finit par s'accorder en moi. Mes décisions m'appartiennent, puisqu'elles ont leur origine en moi et déterminent la suite de mon action, et cependant ne m'appartiennent pas parce qu'elles se forment sans que je sache comment, et souvent sans que j'en connaisse toutes les sources. Certaines naissent dans les profondeurs du corps, loin de mon activité consciente. 
Il en va de même de nos jugements. Je ne parle pas de ceux que nous prononçons en vertu de critères établis et qui ne sont au fond que des raisonnements. Je pense au jugement par lequel je me détermine, en me prononçant sur ce que j'estime bien ou mal, beau ou laid. Ce jugement-là est une synthèse qui se produit en moi et que j'assume comme mienne. En l'exprimant, j'invite autrui à faire preuve du même engagement et de la même liberté, et de se prononcer à son tour. Il est dans la nature d'un tel jugement de s'adresser à autrui et de faire appel à sa liberté.
À la veille de sa mort, en 1975, Hannah Arendt s'apprêtait à parachever son dernier ouvrage, La Vie de l'esprit, par une étude sur la faculté de juger, qu'elle en était venue à regarder comme la principale de nos facultés mentales. Elle comptait s'inspirer de Kant qui, dans sa Critique du jugement, présente le jugement esthétique comme un acte d'une nature particulière, libre et s'adressant à la liberté d'autrui. Elle voulait montrer que cette conception du jugement avait une valeur d'une portée générale et valait dans l'ordre politique. Il est permis de supposer qu'à travers cette réflexion sur notre faculté de juger, ou de nous prononcer librement, elle aurait rejoint le thème du commencement, qui était au cœur de sa réflexion depuis longtemps. C'était sa conviction que l'homme est l'être capable de commencements. Mais le recours à Kant aurait-il suffi à expliquer comment l'homme commence ? Je pense que pour éclairer ce comment, il fallait un paradigme du genre de celui que je propose ici.
Un autre point. Hannah Arendt considérait le pardon et la promesse comme l'apport essentiel de l'enseignement de Jésus. Elle voyait dans le pardon une sorte de commencement miraculeux. Mon paradigme invite à le considérer comme une synthèse nouvelle qui libère de l'emprise du passé en faisant prévaloir le présent. Il ne peut être forcé ni du dehors, ni du dedans. Quand il arrive à maturité et s'impose à la conscience, il s'accompagne d'une émotion d'autant plus puissante qu'elle se forme dans la personne pardonnée. Il est un événement résultant des lois de l'activité. Quant à la promesse, elle est inséparable du pardon. L'homme est fragile. Il est dans l'incapacité de prévoir toutes les conséquences proches et lointaines de ses actes, mais doit agir et s'engager dans la durée pour vivre avec ses semblables. Il doit promettre et ne peut le faire que si, en cas d'échec, il peut espérer le pardon.
Un paradigme, Jean-François Billier

lundi 29 octobre 2012

Huckleberry Finn



Huckleberry Finn was cordially hated and dreaded by all the mothers of the town, because he was idle and lawless and vulgar and bad – and because all their children admired him so, and delighted in his forbidden society, and wished they dared to be like him. Tom was like the rest of the respectable boys, in that he envied Huckleberry his gaudy outcast condition, and was under strict orders not to play with him. So he played with him every time he got a chance. Huckleberry was always dressed in the cast-off clothes of full-grown men, and they were in perennial bloom and fluttering with rags. His hat was a vast ruin with a wide crescent lopped out of its brim; his coat, when he wore one, hung nearly to his heels and had the rearward buttons far down the back; but one suspender supporter his trousers; the seat of the trousers bagged low and contained nothing, the fringed legs dragged in the dirt when not rolled up. Huckleberry came and went, at his own free will. He slept on doorsteps in fine weather and in empty hogsheads in wet; he did not have to go to school or to church, or call any being master or obey anybody; he could go fishing or swimming when and where he chose, and stay as long as it suited him; nobody forbade him to fight; he could sit up as late as he pleased; he was always the first boy that went barefoot in the spring and the last to resume leather in the fall; he never had to wash, nor put on clean clothes; he could swear wonderfully. In a word, everything that goes to make life precious that boy had. So thought every harassed, hampered, respectable boy in St. Petersburg.

Aria



My grandmother liked to tell this story.
"The evening you were born, I looked out at the sky over Shangai. The setting sun was breaking through the clouds. I had never seen such a beautiful sunset. I remember thinking that your life would be a resplendent tapestry, just like that palette of reds. I was sure of it."

This book is made up of thirty chapters – like the thirty variations in Bach's masterwork, the Goldberg Variations. Thirty chapters plus an opening and closing aria, bringing the world full circle like time's continuum – like the wheel of life. 
I am often asked how a Chinese woman, brought up in such a distant cultural milieu, can play Bach. My hope is that after having read this book, the reader will understand and above all, have the desire to listen, or relisten, to Bach. I also hope that he or she will have the desire to read or reread Laozi, the great Chinese philosopher. 
For these two sages are very much alike, and their two cultures – Chinese and Western – are not so dissimilar.


dimanche 28 octobre 2012

Ich glaube, lieber Herr, hilf meinem Unglauben!




*

Si Cormac McCarthy avait enlevé tous les 'it's Okay' des dialogues dans 'The Road', je suis sûre que le bouquin aurait fondu de moitié. À part ça, c'est long, gris, monotone et je me demande s'il n'aurait pas mieux valu en faire une nouvelle. Disons que son succès m'étonne.


lundi 22 octobre 2012

On s'en fout

Pour Karl Lagerfeld, François Hollande n'est pas un imbécile.

L'éternité, jamais trop longue



Et je ne demandais rien de plus à Dieu, s'il existe un paradis, que d'y pouvoir frapper contre cette cloison les trois petits coups que ma grand'mère reconnaîtrait entre mille, et auxquels elle répondrait par ces autres coups qui voulaient dire: «Ne t'agite pas, petite souris, je comprends que tu es impatient, mais je vais venir», et qu'il me laissât rester avec elle toute l'éternité, qui ne serait pas trop longue pour nous deux.”
A la recherche du temps perdu, tome 4 : Sodome et Gomorrhe

Un Air de famille


Très bien. Je m'aperçois que les films fondés sur un scénario de théâtre ne m'ennuient jamais, de même le théâtre, en fait.  Ou que le rythme est tout de suite et forcément plus soutenu, plus enlevé, à l'opposé de l'ennui qui me gagne souvent devant les longueurs d'un film. Sans doute parce que c'est de la littérature et que le rythme se soumet aux répliques, aux mots et non aux images.

Du coup, cela m'a donné envie d'entendre Caruso. 

dimanche 21 octobre 2012

On s'en fout

Dieudonné a vendu ses immeubles.

une femme capable d'être allée à Bayreuth peut faire les cent dix-neuf coups



Les femmes complètement nulles étaient attirées vers Odette par une raison contraire; apprenant qu'elle allait au concert Colonne et se déclarait wagnérienne, elles en concluaient que ce devait être une «farceuse», et elles étaient fort allumées par l'idée de la connaître. Mais peu assurées dans leur propre situation, elles craignaient de se compromettre en public en ayant l'air liées avec Odette, et, si dans un concert de charité elles apercevaient Mme Swann, elles détournaient la tête, jugeant impossible de saluer, sous les yeux de Mme de Rochechouart, une femme qui était bien capable d'être allée à Bayreuth—ce qui voulait dire faire les cent dix-neuf coups.
A la recherche du temps perdu, tome 4 : Sodome et Gomorrhe

Ach, ich sehe, itzt, das ich zur Hochzeit gehe





samedi 20 octobre 2012

mardi 16 octobre 2012

On s'en fout

Mallaury Nataf n'est pas allée voir son fils.

Four Brothers : intelligence, friendship, strength and poetry




Ketut went on to explain that the Balinese believe that we are each accompanied at birth by four invisible brothers, who come into the world with us and protect us throughout our lives. When the child is in the womb, her four siblings are even there with her – they are represented by the placenta, the umbilical cord and the yellow waxy substance that protects an unborn baby's skin. When the baby is born, the parents collect as much of these extraneous birthing materials as possible, placing them in a coconut shell, and burying it by the front door of the family's house. According to the Balinese, this buried coconut is the holy resting place of the four unborn brothers, and that spot is tended to forever, like a shrine.
The child is taught from earliest consciousness that she has these four brothers with her in the world wherever she goes, and that they will always look after her. The brothers inhabit the four virtues a person needs in order to be safe and happy in life : intelligence, friendship, strength and (I love this one) poetry. The brothers can be called upon in any critical situation for rescue and assistance. When you die, your four spirit brothers collect your soul and bring you to heaven.

J'avais déjà fait cette remarque que les Occidentaux avec leur 'une seule âme dans un corps' se trouvaient bien amoindris si l'on compare avec les trois âmes des musulmans (comme les anciens Grecs) : celle du corps et de ses émotions, passions, besoins, celle de l'intellect et celle du divin, des intuitions, des prophéties et des songes (nafs, 'aql, ruh). 

Les Balinais l'emportent, eux, sur nous et nos Anges-Gardiens si esseulés dans leur lourde tâche (surtout en charge d'une âme unique, ça doit manquer de variété), puisqu'ils en ont quatre. 

jeudi 11 octobre 2012

Mo Yan : La Dure Loi du karma



Mo Yan prix Nobel de littérature : C'est le moment de ressortir les vieux papiers…





"Je suis innocent !" Ainsi clame Ximen le Trublion au Roi des Enfers, après deux ans de supplices bien chinois qui font penser à la recette des beignets frits ou d'un menu vapeur. Innocent quand on le fusilla, en tant que propriétaire terrien, innocent dans l'autre monde, où il n'a rien à se reprocher ! Et alors ? répond le Roi des Enfers en riant,

"on le sait que tu es innocent. Sur terre, ils sont nombreux ceux qui mériteraient la mort mais qui ne meurent pas pour autant, alors que tout aussi nombreux sont ceux qui ne devraient pas mourir mais qui meurent pourtant. Il s'agit d'une réalité sur laquelle notre tribunal n'a aucune prise. Pour l'heure nous allons faire une exception en ta faveur et te rendre la vie."


Et c'est ainsi que Ximen Nao, propriétaire terrien du village de Ximen, marié, deux concubines, deux enfants, reviendra sur terre successivement dans la peau d'un âne, d'un bœuf, d'un porc, d'un chien, d'un singe, sans que les motifs de ces réincarnations successives en soient d'abord bien clairs, l'administration des Enfers semblant souffrir de quelque laisser-aller dans le suivi des dossiers...

Cela pourrait donner un conte semblable à L'Âne d'or qui est le récit d'un homme se mouvant dans une peau d'âne. Ici, Mo Yan a joué très subtilement de plusieurs registres : l'unité de l'Être Ximen Nao qui fut tour à tour homme, âne, bœuf, porc, chien, singe et finalement de nouveau humain et qui, ayant choisi dès le début de garder ses mémoires passées (ou, plus tard, l'administration infernale oublie de les lui enlever), atterrit dans son ancienne famille, voit ses concubines remariées, ses enfants adoptés, son épouse brimée, commence par en souffrir et puis, au fur et à mesure que les années passent et que les réincarnations se succèdent, les souvenirs s'estompent ou se mélangent : ainsi Lan Lian est d'abord le jeune domestique recueilli qui épouse sa concubine et adopte ses propres enfants, mais c'est aussi le maître affectueux de l'âne et du bœuf qu'il a été, et puis une figure distante, quand il est porc reproducteur d'élite chez son propre fils, Ximen Jinlong, le même qui le tua cruellement quand il était bœuf ; il sort presque de la vie de Ximen porc et revient en grand-père de son jeune maître, alors qu'il est Ximen chien. Ce même Ximen Chien se réjouit de revoir ses frères canins de la même portée, avant de se retrouver devant "sa fille", celle qu'il a eu du temps de Ximen homme. Et c'est ainsi qu'il se fait cette réflexion :

Après quatre réincarnations, les souvenirs du temps où j'étais Ximen Nao, même s'ils ne sont pas encore effacés, ont été refoulés tout au fond de ma mémoire par quantité d'événements qui se sont produits depuis. Je crains qu'à tourner et retourner ce lointain passé, la confusion ne s'installe dans mon cerveau et que tout cela n'aboutisse à de la schizophrénie. Les affaires du monde forment un livre que l'on tourne page après page. Si l'on veut voir plus avant, il ne faut pas trop feuilleter les vieux livres d'histoire ; nous autres chiens devons aussi avancer avec notre temps, faire face à la vie réelle. Dans les pages de l'Histoire passée, j'étais son père et elle était ma fille, mais dans la vie présente je ne peux être qu'un chien tandis qu'elle est la maîtresse de mon frère et la sœur cadette utérine de mon maître.

Il en va de même de la Chine, de tous les siens, de tout le village qu'il voit passer par toutes les phases successives de la République populaire, entre campagnes contre-révolutionnaires, campagne des Cent fleurs, Grand Bond en avant, Révolution culturelle, jusqu'à la mort de Mao et le retour à un semi-libéralisme. Quel lien y a-t-il entre le Ximen Jinlong, adolescent fanatique de la Révolution culturelle et Ximen Jimong, devenu l'homme le plus riche du village ? Ou le Lan Lian paysan rebelle rétif à la collectivisation, ostracisé par tous, et puis réhabilité quand la propriété individuelle fut de nouveau encouragée ? Comme le dit Jinlong à son demi-frère Lan Jiefang, au temps de Ximen Chien, et se rappelant le temps de Ximen Bœuf :

"Tu te rappelles quand nous menions paître les bœufs sur les grèves ? À cette époque-là, pour te forcer à entrer dans la commune populaire, je te frappais une fois par jour. Qui aurait pensé qu'une vingtaine d'années après la commune populaire s'effondrerait comme un château de sable ? Même en rêve nous n'aurions pu imaginer une chose pareille, que tu deviendrais vice-chef de district et moi président du conseil d'administration, tant de choses sacro-saintes qui à l'époque méritaient qu'on se sacrifie pour elles aujourd'hui ne valent plus tripette."

Cela pourrait ressembler à L'Âne d'or, si Mo Yan n'avait pas évité le piège, ennuyeux sur plus de 700 pages, d'un animal humain, trop humain, qui n'aurait de bestial que son enveloppe charnelle. Bien au contraire, si la personnalité et les souvenirs de Ximen Nao persistent plus ou moins longuement, comme une odeur d'abord puissante puis de plus en plus affaiblie sur un vêtement anciennement porté, s'y rajoutent les émois, les passions, les joies et les souffrances de tous les Ximen animaux qu'il revêt successivement, et d'abord l'amour. Dès le début de ses aventures, alors qu'il est un âne, Ximen Nao, qui a cependant encore tout frais en sa mémoire les attaches conjugales avec son épouse et ses concubines, a soudain la révélation que le bonheur, le plus grand plaisir de toute une vie, ça ne peut être que l'amour d'une ânesse, et de pas n'importe laquelle, mais l'amour de l'ânesse Han Huahua :

Nos âmes semblent sublimées par cet amour bouleversant, elles sont d'une beauté sans pareille. De nos bouches respectives nous lissons nos crinières emmêlées et nos queues souillées de vase, dans ses yeux je lis une tendresse infinie. La race humaine a une haute opinion d'elle-même, s'imaginant être la plus capable de comprendre le sentiment amoureux, en fait c'est l'ânesse qui est l'animal le plus passionné, je désigne par là bien sûr mon ânesse, l'ânesse Han, l'ânesse de Han Huahua. Debout au milieu de la rivière, nous buvons un peu d'eau claire,npuis nous marchons jusqu'à la grève pour manger les roseaux, jaunis déjà, mais qui ne sont pas complètement vidés de leur sève, ainsi que des baies au suc violet. Par moment, des oiseaux effrayés s'envolent, de rares serpents, énormes, se faufilent hors des touffes d'herbe.Trop occupés à chercher un endroit où hiberner, ils ne s'intéressent pas à nous. Après avoir bavardé un peu pour faire mieux connaissance, nous nous trouvons l'un l'autre un nom pour l'intimité. Elle m'appellera Naonao et elle, je l'appellerai Huahua.


De même quand, indignement parachuté dans la peau d'un porcelet nouveau-né – malveillance ou erreur administrative ? – alors qu'on lui avait promis une renaissance humaine des plus flatteuses, Ximen Cochon fait d'abord la grève de la faim. Après avoir eu une vie de bœuf des plus tragiques mais des plus nobles, mieux vaut en finir tout de suite. Mais voilà, si l'âne suit son sexe, le porcelet est tout dévolu à son estomac :

Elle vise ma bouche, tire sur la mamelle et presse doucement dessus à plusieurs reprises, un liquide chaud jaillit jusque sur mes lèvres, je ne peux m'empêcher plusieurs fois de passer ma langue dessus, oh là là ! Dieu du ciel je n'aurais jamais pensé que le lait de truie, le lait de ma maman truie, était en fin de compte si succulent, si parfumé, il glisse en vous comme du velours, comme de l'amour. En un instant j'en oublie toute honte, en un instant mes impressions sur le contexte ambiant s'en trouvent modifiées, en un instant j'ai le sentiment que la vieille maman truie, couchée sur la paille, occupés à nous allaiter, nous, la ribambelle de frères et sœurs, est sublime, sainte, majestueuse, belle. Je m'empare sans plus attendre de cette mamelle, j'en aurais presque mordu en même temos le doigt de Huzhu. Alors des gorgées de lait humectent ma gorge, pénètrent dans mon estomac, mes intestins, alors je sens que mes forces en même temps que mon amour pour ma mère la truie grandissent à chaque minute, à chaque seconde, alors j'entends Jinlong et Huzhu battre des mains joyeusement et rire, grâce à ma vision périphérique je vois leurs visages jeunes s'épanouir comme des amarantes, je vois leurs mains se prendre, et même si des fragments de souvenirs de mon histoire passent dans mon cerveau comme des éclairs ou des étincelles, à ce moment-là je veux tout oublier, je ferme les yeux, jouissant du plaisir du bébé cochon qui tète.


Autres variations qui empêchent toutes redites, toutes monotonies dans les aléas successifs des réincarnations, le caractère initial de Ximen Nao subit les modifications propres aux qualités et aux défauts moraux que l'on peut prêter à son espèce : Âne fougueux, batailleur et sentimental, bœuf stoïque jusqu'au martyre, bon et placide, porc égoïste, fier et courageux, chien dévoué et intelligent, singe au masque de colère inquiétant mais par qui la libération arrive...

Mais il y a un autre narrateur au dernier quart de l'histoire, un "je" qui double le récit de Ximen Naoe, et il y a aussi le risible Mo Yan, le "petit drôle" du village, laid comme un pou et bavard comme une pie, l'écrivain qui en rajoutera des tonnes en s'inspirant des mêmes épisodes de l'histoire du village Ximen et de toutes ses familles, mais dans un registre nettement moins sobre et plus romantique que celui de Ximen Nao, il faut le dire ; et pour finir, il y a Lan Quinsui, qui racontera toute l'histoire, le bébé "Grosse Tête" par qui tout commence et finit, le 1er janvier 1950 ...

(initialement écrit le 15/12/2009 pour Babelio)


La Dure Loi du karma, Mo Yan

lundi 8 octobre 2012

38 témoins


Un très bon film, captivant, mais qui est présenté comme une fable morale sur la lâcheté, alors que je trouve que c'est le contraire, il aurait pu s'appeler La Conquête du courage, comme le titre français de The Red Badge of Courage. Car c'est l'histoire d'un homme qui, comme tous les autres, surpris par l'effroi de l'inimaginable violence, n'a pas su réagir rationnellement. Mais qui, à la différence des autres, s'est repris ensuite et a décidé de jouer le bouc émissaire, la balance, l'homme qui s'attache lui-même au piloris pour assumer et exposer sa faute qui est celle de tous les autres : ecce homo. On n'est pas lâche d'avoir eu impulsivement peur, dans un premier geste de recul ou de fuite. On ne l'est même pas quand on ment à l'autorité, par peur enfantine, 'je ne serai plus digne d'amour si je dis que je suis comme ça' ; on le devient quand on persécute avec hargne celui qui a eu le courage de dire 'oui, c'est moi, c'est nous tous'.

Autre blanc dans l'histoire : à aucun moment, les autres, ceux qui n'y étaient pas, les policiers, la journaliste, le procureur, la fiancée ne semblent se poser la question :'et moi qu'aurais-je fait ? comment puis-je être sûr(e) que moi, j'aurais bien réagi ?'  Même le capitaine de police qui semble faire acte de courage ou de justice, en parlant à la journaliste, le fait dans l'anonymat, lui. Il peut quitter les lieux de la reconstitution la tête haute, en saluant la demoiselle qui, elle, est bien et ne mérite pas ça du seul fait qu'elle n'y était pas, mais il a, en balançant, fait comme les 37 autres témoins : il a choisi l'ombre et le mensonge. 

La fin est décevante parce que plate, réduite à une seule histoire de couple, 'ah et puis finalement, non, je ne te supporte pas comme ça.' (on verrait bien Louise épouser le capitaine Léonard, ensuite, un dur, un mâle droit dans ses bottes, qui ne lui fera jamais honte, au moins).

Dernier indice, hasard ou non, le prénom de l'anti-héros qui devient héros : Pierre. Le modèle de la lâcheté ou de la peur qui trahit, fuit, pleure, Erbarme dich, mein Gott, et puis, au final, ira tout au bout, en son temps de bravoure à lui, comme si on ne peut devenir vraiment courageux que si l'on a commencé par être apeuré.  Pas un Judas, non, juste un futur pape.

samedi 29 septembre 2012

Écriture


Imaginez un parangon de vertu érasmienne : un garçon hollandais de douze ans, intelligent, convenablement chrétien et curieux d'apprendre la place qui est la sienne dans l'ordre des choses qui prévaut au XVIIe siècle. Les vieux volumes lui eussent appris qu'il était un nouveau Batave, un rejeton d'une vieille souche. Les histoires contemporaines lui eussent rappelé qu'il était d'une génération de martyrs et que le manteau de sa liberté était tout imbibé de sang. Mais le texte imprimé ou l'image n'étaient point seuls à former sa sensibilité. Tous les dimanches (au moins) se déversait du haut de la chaire une cascade rhétorique, invoquant la destinée des Hébreux comme si l'assemblée des fidèles était elle-même une tribu d'Israël. Les lignes de démarcation entre l'histoire et l'Écriture s'estompaient cependant dès lors que l'on attribuait le sens de l'indépendance et de la puissance hollandaise à la Providence qui avait élu un nouveau peuple pour éclairer les nations. Dans cette addition néerlandaise à l'Ancien Testament, les Provinces-Unies apparaissaient telle la nouvelle Sion, Philippe II en roi d'Assyrie et Guillaume le Taciturne comme le pieux capitaine de Juda. Notre garçon, que nous pourrions prénommer Jacob Isaakszoon, Jacob fils d'Isaac, devait comprendre qu'il était Fils d'Israël, l'un des nederkinderen, et qu'il vivrait sous la protection du Tout-Puissant aussi longtemps qu'il observerait ses commandements. C'est par la vertu de l'alliance conclue avec le Seigneur que la nation à laquelle il appartenait avait été délivrée de ses chaînes pour connaître la prospérité et la puissance. Qu'elle s'éloignât des sentiers de la droiture, et elle pouvait compter que Dieu l'abaisserait comme il avait abaissé Israël et Juda avant elle. Le garçon approchant de l'âge d'homme, sa conduite devait illustrer l'acceptation de cette alliance, en conséquence de quoi les bienfaits pleuvraient sur lui.
Dans une large mesure, cette exhortation biblique était l'idiome commun de toutes les cultures calvinistes et puritaines du début du XVIIe siècle. Des Abraham, des Isaac et des Jacob, on en retrouverait à Rouen, Dundee, Norwich et Bâle aussi bien qu'à Leyde et à Zierikzee. Le rejet de l'hagiographie postbiblique autant que de l'autorité légale que revendiquaient les successeurs de saint Pierre à Rome étaient une caractéristique centrale de la Réforme, en sorte que l'Écriture s'en trouvait investie d'une valeur proportionnellement plus grande. Chez les calvinistes et autres dévots de la "Réforme radicale", l'abolition du rite traditionnel et de l'intercession du clergé mais aussi la préférence pour des formes directes de communion donnaient davantage d'importance encore à l'écriture dans le culte. Le train incessant des lectures, chants et exégèses qui se déroulaient dans les églises, écoles et foyers calvinistes familiarisaient les fidèles aux faits et gestes les plus insignifiants des patriarches, juges, rois et prophètes, quand jadis ils s'attardaient à la couleur de la chevelure d'un saint ou au rayonnement de son auréole. De surcroît, liée à l'obsession calviniste de la bonne conduite, la distinction entre la nature entièrement sacrée du Nouveau Testament et le caractère "mondain" de l'Ancien Testament faisait de ce dernier un fond de sagesse exemplaire et de vérité historique sans le moindre soupçon de blasphème. Tout cela avait pour résultat d'arracher l'Ancien Testament à la position qui était la sienne dans la théologie catholique – celle de préface nécessaire, de "deuxième étape" dans la téléologie du péché originel et de l'ultime rédemption – pour rendre au lien entre les deux livres une espèce de symétrie complémentaire. Dans la vision catholique du monde, l'incontournable distinction entre les chrétiens et les juifs, pour ainsi dire, déicides dès le commencement, reléguait dans l'ombre la nature exemplaire des histoires de l'Ancien Testament. Dans la mentalité calviniste, en revanche, l'ultime chronique messianique ne se laissait comprendre qu'à travers l'histoire des juifs, par qui le Tout-Puissant avait manifesté sa volonté.
L'embarras de richesses: Une interprétation de la culture hollandaise au Siècle d'Or

jeudi 27 septembre 2012

dimanche 23 septembre 2012

Komm, du süße Todesstunde


Liebster Gott, wenn werd ich sterben ?





Lu toute l'après-midi l'Éloge de la fadeur. Après 8 mois et demi à ne lire que sur tablette, c'est amusant de retrouver un livre papier. Au reste, je devais faire ça le samedi après-midi, ou quand je suis chez moi : relire mes livres de papier.

jeudi 20 septembre 2012

Madame de Marsantes



C'était une grande dame. Par atavisme son âme était remplie par la frivolité des existences de cour, avec tout ce qu'elles ont de superficiel et de rigoureux. Mme de Marsantes n'avait pas eu la force de regretter longtemps son père et sa mère, mais pour rien au monde elle n'eût porté de couleurs dans le mois qui suivait la mort d'un cousin. 
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 Être grande dame, c'est jouer à la grande dame, c'est-à-dire, pour une part, jouer la simplicité. C'est un jeu qui coûte extrêmement cher, d'autant plus que la simplicité ne ravit qu'à la condition que les autres sachent que vous pourriez ne pas être simples, c'est-à-dire que vous êtes très riches.
A la recherche du temps perdu, tome 3 : Le Côté de Guermantes

dimanche 16 septembre 2012

Warum betrübst du dich, mein Herz ?





Ai fait la connaissance d'Androïd. Verdict : plus jamais ça.


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Un des plus beaux passage de la Recherche.


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Poêlée d'endives, crème, curry, filets de panga.


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J'ai beaucoup plus aimé Conte d'automne, que ceux d'été et de printemps, peut-être parce que les histoires de jeunes m'ennuient, en fait. Cela dit, je me demande pourquoi j'aime bien regarder les films de Rohmer alors que les 3/4 de ces personnages sont de vraies têtes à claques.



samedi 15 septembre 2012

Si un souvenir, un chagrin qu’on a, sont capables de nous laisser au point que nous ne les apercevions plus, ils reviennent aussi et parfois de longtemps ne nous quittent. Il y avait des soirs où, en traversant la ville pour aller vers le restaurant, je regrettais tellement Mme de Guermantes, que j’avais peine à respirer: on aurait dit qu’une partie de ma poitrine avait été sectionnée par un anatomiste habile, enlevée, et remplacée par une partie égale de souffrance immatérielle, par un équivalent de nostalgie et d’amour. Et les points de suture ont beau avoir été bien faits, on vit assez malaisément quand le regret d’un être est substitué aux viscères, il a l’air de tenir plus de place qu’eux, on le sent perpétuellement, et puis, quelle ambiguïté d’être obligé de penser une partie de son corps!  À la moindre brise on soupire d’oppression, mais aussi de langueur.
A la recherche du temps perdu, tome 3 : Le Côté de Guermantes

dimanche 9 septembre 2012

Es ist nichts Gesundes an meinem Leibe




Grenadins de veau gratinés au chèvre, purée de pommes de terre et d'oignons à la crème.

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Je lis dans le blog de Christophe André ces mots très juste sur l'artificialité de l'année qui débute en janvier, alors que tout le monde vit le recommencement au mois de septembre :

 je m'aperçois en écrivant ce billet que je continue de raisonner comme un écolier. Pour moi, une année commence en septembre, à la fin de l'été et au moment de la rentrée scolaire. Rien à faire pour me convaincre que le début d'une année se situe le 1er janvier : cela ne dit rien à mon corps, à mes émotions, à mes souvenirs. Alors que le passage des vacances à l'école ou au travail, le sentiment de l'été finissant, tout cela, oui, sonne pour moi comme une transition majeure et un véritable changement. Progressif et naturel, comme tous les vrais changements, et non soudain et artificiel comme les douze coups de minuit entre 31 décembre et 1er janvier. 

 C'est exactement ce que je ressens et le blues de la nouvelle année c'est en septembre que je l'éprouve, janvier n'est pour moi que la mi-année.

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À 6 h du matin, le lis un mail de Mirella qui m'annonce sa propre mort. Drôle d'impression. Il y a des gens qu'on imagine mal devoir partir si subitement. Comme une couleur tragique qui leur va mal. C'est quelqu'un qui semblait aimer la vie, la gourmandise, les amoureux… Je l'ai jamais vue qu'affable, modeste. Une bonne personne, comme on dit. Le genre qu'on n'imagine pas passer autrement que du bon côté de la Lumière.

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Pensées de rentrée : Penser à remaigrir, m'occuper, tenter une vie 'saine' voir comment ça fait, de vivre comme les gens 'exemplaires' ; comme une curiosité.

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Magrets de canard aux figues et vin rouge, pommes de terre sautées.
Tarte prunes, miel, fleur d'oranger, pavot.

mardi 4 septembre 2012


Autrefois, pour tâcher d'isoler ce talent, je défalquais en quelque sorte de ce que j'entendais le rôle lui-même, le rôle partie commune à toutes les actrices qui jouaient Phèdre et que j'avais étudié d'avance pour que je fusse capable de le soustraire, de ne recueillir comme résidu que le talent de Mme Berma. Mais ce talent que je cherchais à apercevoir en dehors du rôle, il ne faisait qu'un avec elle. Tel pour un grand musicien (il paraît que c'était le cas pour Vinteuil quand il jouait du piano), son jeu est d'un si grand pianiste qu'on ne sait même plus si cet artiste est pianiste du tout, parce que (n'interposant pas tout cet appareil d'efforts musculaires, ça et là couronnés de brillants effets, toute cette éclaboussures de notes où du moins l'auditeur qui ne sait où se prendre croit trouver le talent dans sa réalité matérielle, tangible) ce jeu est devenu si transparent, si rempli de ce qu'il interprète, que lui-même on ne le voit plus, et qu'il n'est plus qu'une fenêtre qui donne sur un chef-d'œuvre. (Du Côté de Guermantes).

A la recherche du temps perdu, tome 3 : Le Côté de Guermantes

vendredi 31 août 2012

Conte de printemps


De Rohmer, je n'avais vu que L'Anglaise et le Duc, il y a bien longtemps, que j'avais aimé. Je devrais sûrement en regarder plus. J'aime que les acteurs parlent comme dans les livres, comme au théâtre. On devrait toujours parler comme cela, dans la vie. Cela aide à poser des idées plus claires. Ce film-là, de plus, m'a donné envie d'écouter du Schumann, ce qui, au vu de mon peu de goût pour le Romantisme, est notable.

dimanche 19 août 2012






Journal des Goncourt, III, III :
Mardi 5 décembre.—Daudet m'a amené hier, le docteur Rendu, médecin de l'hôpital Necker, qui m'a mis à l'huile de Harlem. Cette huile de Harlem, ordonnée par un médecin de ce temps, est un médicament qui semble avoir été inventé par un hermétique moyenageux, et dont le prospectus commence ainsi: «En Jésus Christ se trouvent tous les trésors de guérison, tant du corps que de l'âme.» Au fond, un médicament qui doit avoir une terrible action, car après en avoir pris quelques gouttes, il vous remonte de l'estomac des fumées, qui ont l'odeur de l'asphalte en fusion, pour la réparation des trottoirs.
Montégut, le cousin de Daudet, qui fait la cuisine de l'Intransigeant, après dîner, dans une réminiscence reconnaissante, se met à parler de son opération chez les frères Saint-Jean-de-Dieu, des trois mois qu'il y a passés, de son premier lever, de son premier regard par la fenêtre, dans ce jardin qu'il avait vu à son entrée, tout dépouillé, complètement mort, et où la pousse d'une petite bande d'herbe, le faisait pleurer bêtement. Montégut s'étend sur les soins maternels, donnés par ces hommes, ces gardes-malades appartenant tout entiers à la souffrance, et si en dehors de la vie du siècle, que celui qui le soignait, et qui était à Paris depuis dix ans, n'était sorti que trois fois de la maison, une fois pour aller à Notre-Dame, une autre fois au Sacré-Cœur, une autre fois pour une visite semblable. Il célèbre leur discrétion à l'égard de votre vie, de vos opinions, de vos lectures, de vos journaux, et ne trouve dans sa mémoire comme blâme de ses relations, quand il recevait la visite des actrices du Théâtre-Libre, ou de femmes du quartier Latin, en toilette exubérante, que ce rappel ironique du frère qui le soignait, jetant à haute voix dans ce monde féminin : "C'est l'heure de votre lavement !"
 Dimanche 20 mai.—Ajalbert m'apporte une lettre d'Antoine, venue de Constantinople, m'annonçant que la censure du Grand Turc, avait interdit la FILLE ÉLISA. Je ne puis m'empêcher de dire à Ajalbert, qu'à sa place, je regretterais joliment de n'avoir pas fait partie de cette tournée, en compagnie des vingt-cinq cabotins et cabotines, qu'Antoine traînait à sa suite, et de l'étrange impresario belge. Voit-on ce monde à travers les rues de Stamboul. Ah le beau et original ROMAN COMIQUE à refaire, au milieu des paysages orientaux!

Au sujet, de LA MAISON TELLIER, Toudouze contait qu'à l'enterrement de Maupassant, se trouvant dans la même voiture, que Hector Malot, celui-ci lui avait appris que c'était lui, qui avait donné l'épisode de la chose à Maupassant, mais qu'il avait gâté ce qu'il lui avait raconté, en terminant la nouvelle par une fête, tandis que la matrulle avait dit à ses femmes: «Et ce soir, dodo touteseule!» 

Un moment, comme on parlait du peu de sérieux des travaux de la statistique, Pichot affirme, en riant, que les statisticiens recueillent sérieusement des blagues, comme celles qu'il faisait, quand il était dans le service de la Clinique des enfants, et qu'à propos de morts d'enfants de quatre ou cinq jours, il inscrivait: «Mort du dégoût de la vie, mort du spleen.» 

Toutes les fois que j'entends 'de deux choses l'une' je ne peux m'empêcher de compléter, mentalement, comme Prévert : 'l'autre, c'est le soleil'.

Après des années à supporter word, Pages est un bonheur.

Le charme des cuisines 'aménagées' c'est de pouvoir cohabiter avec toute la famille d'Aragog derrière la machine à laver et le frigo.



Vu Extremely loud and incredibly close, le film… Pas désagréable à regarder mais très simplifié par rapport au roman, tout de même. C'est la supériorité de la littérature sur le cinéma. Quel film pourrait reconstituer un monde aussi riche et vaste que celui d'un roman ? Même les adaptations les plus réussies, comme celle du Temps retrouvé, de Ruiz, ne le sont peut-être que pour les lecteurs de la Recherche qui 'savent' ce qu'il y a derrière les images. La Mort à Venise est un des rares exemples où le film est mieux que l'écrit mais justement, c'est une nouvelle, pas un gros roman-monde. Il y a aussi Le Mépris, mais je n'ai pas lu le livre. Dans ces deux derniers cas, la musique enrichit, de plus, les scènes d'émotions externes à l'histoire initiale.

Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.