samedi 12 juillet 2008

Karaghiosis : un héros laïc


"Toute la Grèce est sur cette scène : la place du Marché, la rangée de silhouettes turques, la merveilleuse souplesse de la pensée et la facilité verbale, la tendresse et la vulgarité. Le tout avec très peu d'allusions au paysage. Karaghiosis, dont l'humour est de type citadin, est pourtant auréolé d'un temps où lui et ses pareils étaient de farouches montagnards habitants sur le pourtour de la mer Noire qui conservent encore avec ténacité des manières d'être et une prononciation que le Pirée a oubliées et qui ne sont plus pour elle que matière à plaisanterie. Sur ce petit écran éblouissant c'est tout le mystère laïque de la Grèce resté si longtemps enfoui dans les montagnes et les îles - dans les bois et les vallées de l'archipel qui se révèle à l'état brut, tout l'esprit et l'extraordinaire faculté d'adaptation des Grecs dont l'humour et l'ironie mordante ont rayonné dans tous les coins du globe.

Nous avons fait maintenant connaissance avec un certain nombre de personnages qui vont devenir familiers dans l'immortel cycle de Karaghiosis : Gnio-Gnio, le fou en jaquette et haut-de-forme dont le parler chantant de Zante est une joie pour l'oreille ; les petits Juifs de Salonique vêtus de longues robes informes comme des sacs, intelligents et diserts, les mains croisées sur leur poitrine. Il y a même un personnage inhabituel appelé "Le Lord", vêtu comme le Père Nicolas doit imaginer que sont tous les Anglais : redingote, fleur à la boutonnière, demi-guêtres, chapeau haut-de-forme. Il y a encore le terrifiant Stavrakas du Pirée dont la vanité et la vulgarité provoquent à juste titre les quolibets des enfants. Il y a le Grand Vizir, personnage sympathique d'une taille imposante, sans oublier le Cadi, qui fait distribuer des coups de bâton avec une froideur et un détachement impersonnel."

Lawrence Durrell, L'île de Prospero.

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Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.