mardi 17 juin 2008

De la dure vie de murîd


"Abû 'Abd Allâh ibn al-Jallâ a raconté ceci : "je faisais un séjour pieux à La mecque en compagnie de Dhû-l-Nûn ; cela faisait plusieurs jours que nous avions faim, et l'on ne nous avait rien offert. Un jour, avant la prière de midi, Dhû-l-Nûn se leva pour se rendre sur la montagne et y faire ses ablutions ; je me tenais derrière lui, quand j'aperçus des peaux de banane qu'on avait jetées sur la route. Je me dis en moi-même : "Je vais en prendre une ou deux poignées, que je mettrais dans mes manches sans que le cheikh me voie, et quand nous serons sur la montagne et que le cheikh fera ses ablutions, je les mangerai." Je m'en emparai donc et les plaçai dans mes manches, en prenant garde que le cheikh ne me vît point. Lorsque nous fûmes sur la montagne et à l'écart des gens, il se tourna vers moi et me dit : "Jette tout ce que tu as dans tes manches !" Je m'exécutai, rempli de confusion.

Après avoir fait nos ablutions, nous retournâmes à la mosquée, pour y accomplir successivement les prières de midi, de l'après-midi, du coucher du soleil, de la nuit. Au bout d'un moment, voilà qu'un homme vint apporter de la nourriture sous un couvre-plat ; il s'arrêta en face de Dhû-l-Nûn, comme pour attendre ses instructions. Ce dernier lui dit : "Va la déposer devant cet homme !" en me désignant de la main. C'est ce qu'il fit, et j'attendais que le cheikh vînt manger, mais je vis qu'il ne se levait pas de sa place. Puis il me regarda et me dit : "Mange ! - Tout seul ? - Oui, c'est toi qui as demandé de la nourriture, nous, nous n'avons rien demandé, et celui qui mange est celui qui a demandé." Je me mis donc à manger, tout confus et honteux de ce qui s'était passé."

Alors qu'il suffit de demander :

"Bakr ibn 'Abd al-Rahmân a raconté ceci : "Nous nous trouvions avec Dhû-l-Nûn l'Egyptien dans une région désertique, et nous avons fait halte sous un acacia (umm ghaylân : "acacia arabica" ou "épine-arabique"). Nous nous sommes écriés : "Comme cet endroit serait agréable s'il y avait des dattes !" Dhû-l-Nûn a souri : "Vous désirez des dattes", a-t-il dit, et il a secoué l'arbre tout en prononçant ses paroles : "Je t'en conjure, par Celui qui est à ton origine et qui a fait de toi un arbre, eh bien !" ne vas-tu point nous donner des dattes bien fraîches !" Il l'a secoué ensuite à nouveau, et il a alors répandu sur nous des dattes à profusion, dont nous nous sommes rassasiés, avant de nous endormir."

Mais voilà, inutile de jouer les apprentis sorciers murshids, ça ne marche pas pour tout le monde :
"A notre réveil, nous avons secoué (à notre tour) l'arbre, et il n'a fait tomber sur nous qu'une pluie d'épines."

La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l'Egyptien / Ibn'Arabî \; trad. de l'arabe, présenté et annoté par Roger Deladrière, Ibn Arabî.

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Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.