jeudi 31 mai 2007

Kodjâ'î ? Kodjâ'î ?


"D'amour, pour toi, je suis hors de mes sens. Où es-tu ?

Avec l'âme je te cherche, toi qui es mon âme. Où es-tu ?

Je cours à travers le monde vers toi

Partout je te cherche. Où es-tu ?

Puisque le monde ne peut contenir ta beauté,

Pourrais-je savoir comment tu es et où tu es ?

Puisque là où tu es, personne n'a passage

Qui interrogerai-je ? Qui pourra savoir où tu es ?

Tu es manifesté et pourtant caché pour tous.

Et si tu n'es pas caché, où donc apparais-tu ?...

A mon coeur effarouché et perplexe

Fais un signe sur la Voie. Où es-tu ?

Puisque le pauvre Eraqî est hors de ses sens à cause de toi,

Ne lui diras-tu pas finalement : Ô fou d'amour, toi, où es-tu ?"


Fahroddîn 'eraqî, trad. Henry Corbin.

samedi 5 mai 2007

L'Angoisse originaire et la structure dyadique de l'Archè

"Comment caractériser en termes rigoureux l'Angoisse originaire, dépourvue de tout substrat ? Il s'agit sinon d'un nouveau mythe mais du moins d'une expression métaphorique pour figurer, par analogie, l'impossibilité d'être ou, si l'on préfère, le non-être actif, en tension vers l'être. Il est possible que cette Angoisse originaire soit fiction pure, et qu'elle ne puisse se penser que comme une idée-limite, tel le zéro en mathématiques, dépourvue de toute existence propre mais indispensable aux opérations."

"L'impossibilité d'être, l'Angoisse originaire, est impensable et non verbalisable. Elle est cependant le fondement de l'être et de la pensée. L'être, c'est le même, c'est l'identique, c'est l'itérable ; il "résulte" d'une constitution, d'un acte constituant, surgi dans l'Angoisse. Acte instaurateur originaire, aussi inaccessible que l'Angoisse elle-même. Pour nous, le commencement, l'Archè ne sera ni l'Angoisse ni l'Acte Créateur mais l'Être premier. Or l'avènement de l'être ou de l'identique n'est possible que sur le mode symbolique. En termes formels, on ne peut dire : A est A que si on peut dire de quelque manière que A implique B sur le mode du non, c'est-à-dire si A symbolise avec B. (D'ailleurs en symbolisant avec B, il symbolise précisément l'Angoisse originaire où les deux "pôles" se trouvent encore réunis dans leur "tension" vers l'être. On voit bien que le symbole singulier ne se suffit pas à lui-même pour être. S'il est ce qu'il est, tout en impliquant ce qu'il n'est pas, il faut pour la permanence de l'articulation que ce qu'il n'est pas soit à son tour une permanence, une identité (B))."

"Pour que A soit précisément A et non B il faut qu'il accomplisse lui-même cet acte de discrimination. Telle est précisément son opération symbolisante. Or, il est besoin de deux au moins. C'est donc à l'intérieur de A que le caractère non-B (c'est-à-dire le caractère de B sur le mode négatif) doit être donné. L'instance qui réunit A e B sur le mode négatif, c'est-à-dire le pôle de A qui renvoie négativement à B est la forme la plus archaïque de l'Ego. La fonction de l'Ego consiste donc à configurer en lui ce qu'il n'est pas, en opérant et en maintenant un clivage, propre à arracher l'être à l'Angoisse originaire. En d'autres termes l'Archè-Ego est à la fois symbole de l'Angoisse et symbolise avec l'Autre dont il est en quelque sorte le négatif. L'acte fondamental de l'Ego consiste à se discriminer de l'Autre. L'être de l'Ego consiste en l'affirmation indéfiniment itérée de l'altérité. Par là même son être propre demeure non thématique."

En effet, si l'Ego n'est pas possible sans se discriminer de l'Autre, l'Autre, de son côté, doit pouvoir s'affirmer, sur le mode négatif, par rapport à son Autre. En d'autres termes, l'Autre doit pouvoir symboliser avec son Autre en symbolisant la même Angoisse originaire que celui-ci. L'Autre sera donc à son tour Ego. C'est dire que le surgissement de l'Ego a lieu d'emblée dans l'inter-subjectif à savoir comme un terme complémenté d'une Dyade."

Abraham & Torok, L'Ecorce et le noyau.

mardi 1 mai 2007

A la fin de la nuit où l'aurore point



En bon Iranien, Ismaélien ou non, pour Nasir od-Dîn, c'est toujours le drame cosmique de la mort et de la renaissance du Soleil qui se joue, c'est-à-dire que tout est, toujours, une histoire de Midi-Minuit.

"Le petit nombre et la faible position des gens du Réel, la puissance des gens de la fausseté sont contemporains tous deux des premiers temps de leur manifestation. Aux tenants du Réel, le commencement est faiblesse, le terme final est puissance. Comme l'aurore dont la lumière, graduellement, s'intensifie jusqu'à ce que le soleil se lève et que le monde s'illumine. Aux tenants de la fausseté, le commencement est puissance, le terme final est faiblesse. N'est-il pas vrai que pour eux, au début, la domination est parfaite, qu'ils prévalent au plus haut point ? A la fin, ce n'est plus le cas et ils ne sont plus rien. Comme l'ombre et l'obscurité de la nuit qui d'abord dominent et prévalent, mais à mesure qu'elle passe et que l'on s'approche de l'aube, la nuit s'évanouit. A la fin de la nuit où l'aurore point, ombre et obscurité ne sont plus rien."

"Pourquoi les gens du Réel sont-ils si peu nombreux et les gens de la fausseté si nombreux ?" ; chap. XVIII, La convocation d'Alamût: Somme de philosophie ismaélienne = Rawdat al-taslim (Le jardin de la vraie foi), Nasir od-Dîn Tusî, trad. Christian Jambet.

Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.