dimanche 5 juin 2005

Le Pianiste




Film terriblement oppressant sur le début, qui m'étouffait, tant cette horreur de mourir en masse me rend claustrophobe. C'est bien ça, un génocide, pas de mort individuelle, ce que même un soldat, héroïque ou lâche, ressent, SA mort, SON destin, mais là non, c'est toute une foule qui meurt en foule, quelle asphyxie ! On ne meurt pas parce que l'on est, on meurt en tant que petite particule d'une masse à éliminer du monde. C'est cela qui m'a oppressée aux premières images, plus que la crudité des exécutions, des morts. Et aussi l'arrachement douloureux de chaque être qui forme le soi, père, mère, frère, voisin, voisine, masse de viande à supplicier devant soi, et ne pas pouvoir y faire quoi que ce soit. Ensuite, quand le pianiste démuni de tout erre comme un chat miséreux dans la ville, on respire, je trouve. Là, il redevient quelqu'un, là, c'est son destin qui se joue. Et que l'histoire soit réelle ne m'étonne pas, il y a vraiment de ces gens, qui sont, dans les pires circonstances, des survivants. Non par leur énergie, leur volonté ou quoi que ce soit d'inhérent à leur caractère, il y a des milliers de survivants dans l'âme qui sont morts. Mais c'est comme un signe, comme la marque de Demian, il y a des gens qui sont voués à survivre, que l'on croit ou non, c'est ainsi, ils n'évitent pas le feu, ils passent au travers, et leur vie est jalonnée de miracles.

Au début, les premières images avivent la haine, je me mets à comprendre Jankélévitch et son refus de pardonner, Allemands, Polonais, maudits à jamais... Et puis les amis de la résistance polonaise, et puis à la fin cet officier, qui m'a fait penser à Jünger, ce n'était pas dit dans le film, mais j'étais sûre qu'il était catholique. Mélomane. Elégant. Beau. Perdant. Et de ce fait, lui n'était pas un survivant, dommage, j'aurais aimé qu'il survive, et après la libération de la Pologne, il se seraient retrouvés, deux vieillards rescapées d'une guerre si lointaine, lointaine... J'ai pensé à l'Europe, tiens, en les voyant : Allemand, Polonais, et Varsovie en ruine, et Cologne, et Hambourg. On ne se fera sans doute plus la guerre, entre Londres, Paris, Berlin, Varsovie. Mais quand même.

L'idée aussi, que j'avais déjà, que pris dans une telle nasse, un artiste s'en sort mieux qu'un autre, qu'il soit musicien, ou écrivain comme Soljénitsyne, ou peintre comme Zoran Music. Bien sûr il meurt comme les autres. Mais face à la dépersonnalisation, quand, en tant qu'homme, on n'est plus qu'une loque, une "flammèche" comme expliquait Chalamov, il y a toujours ce quelque chose, ce don, qui fait que même sous-homme, vermine, rat à exterminer, on est plus "doué" que le surhomme qui vous écrabouille. Même les saints n'ont pas ça, le talent. C'est autre chose, une gratuité pure, même dans le corps des méchants hommes. Enfin bref, quand on est artiste et doux, de ceux qui posséderont la terre, bla bla bla, c'est encore mieux.

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Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.