mardi 31 mai 2005

Paul

Les écrits de Paul de Tarse. Sublimes et exaspérants. Ou démesurés et exaspérants. Il est visiblement antipathique à presque tous les juifs de son vivant, il ne semble pas avoir le charme du Christ, ce je-ne-sais-quoi qui fait que le Christ, on ne peut s'empêcher de l'aimer, quoi qu'il fasse, dise, tonne, même (surtout ?) quand il renverse en grondant des cages à poulet dans le temple. Et pourtant c'est bien Paul qui, seul contre presque tous le judaïsme (même si Pierre a eu une vision semblable), dit : "je viens pour tous les hommes", et non plus "pour les juifs". C'est lui qui dit : circoncis ou non, peu importe, Dieu sonde les coeurs. Ce qui ne l'empêche pas d'être un fou furieux, aussi sympathique qu'un taliban. Mais au moins, il a la générosité de ne laisser aucun peuple en repos avec sa névrose...

dimanche 29 mai 2005

A cinq heures de l'après-midi





Je ne sais pas pourquoi, j'ai trouvé ce film beaucoup plus poignant, plus déchirant qu'Osama, peut-être parce qu'il n'y a pas un seul personnage vraiment antipathique, qu'ils sont tous poignants, oui, même le vieux con à barbe blanche, qui pleure sur la chute des talibans, puisque Kaboul et ses femmes peu à peu dévoilées est devenu une Babylone de péchés... rien à voir pourtant avec l'odieux mollah d'Osama, dans cet homme étroit, toujours tempêtant, demandant pardon à Dieu quand il voit une femme, mais qui en a deux sur le dos, sa fille et sa bru, la première voulant devenir présidente de la république, comme Benazir Bhutto au Pakistan (qui pourtant, lui rappelle une camarade d'école, a soutenu les talibans), la seconde ignorant qu'elle est déjà veuve, avec un enfant qui se meurt doucement, faute de lait. Mais ce n'est pas un mélodrame de bout en bout, il y a de jolis moments avec le poète à vélo, et ce dialogue souriant et drôle avec le soldat français. Et pour finir, quand le père part pour une ville "islamique" où les femmes ne se dévoilent pas, quand il épuise toute sa famille, tous ses biens sur la route, quand son âne meurt de faim, quand il faut brûler la charette pour réchauffer l'enfant, quand il le porte, et "non vois-tu ce n'est pas parce qu'il est gelé et qu'il ne bouge plus qu'il est mort, il dort l'enfant dort voyons", et comment lui annoncer à ma bru que son mari est mort, eh bien on ne le trouve plus antipathique, mais pathétique, comme cet autre vieillard assis sur le bord du chemin, son âne en train de mourir lui aussi de faim et de soif, parti trouver Mollah Omar pour lui dire de ne pas livrer Ben Laden, ce musulman, aux Américains infidèles, et qui ignore que la guerre a eu lieu et est finie.

C'est un film sur la période d'après la dictature, avec ses paumés nostalgiques de l'ancien régime, les réfugiés en masse qui reviennent, les filles qui veulent attraper la chance que la nouvelle ère leur offre, mais sans trop savoir de quelle façon on sort de sa condition.

samedi 28 mai 2005

Ricoeur

Je ne connaissais pas avant qu'il meurt, mon inculture en philosophie (euh... occidentale) est phénoménale, autant qu'en cinéma(euh... occidental aussi). Mais depuis sa mort, on en parle en long et en large sur France Culture. Ce matin, rediffusion chez Finkelkraut de son émission. Confirmation de ce que j'ai pu glaner toute la semaine : ça ne m'inspire guère, alors que trois mots de Jankélévitch sur cette même radio m'avait happée. Je me demande pourquoi. Je me demande si je ne suis pas avant tout sensible aux voix, plus qu'aux propos. La façon dont c'est parlé, qui serait comme la qualité sensible de la qualité intrinsèque.

Enfin, sur le pardon, le devoir de mémoire, il est tiède. Non, trop compact, sans levain. Trop raisonnable aussi, bien médiocre, alors que sur ces questions de pardon et d'oubli, Jankélévitch a eu la sagesse d'être déraisonnable, passionné, intransigeant, mais du coup, logique. On pardonne ou on ne pardonne pas, mais quand on choisit de se remémorer sans cesse, on ne passe pas l'éponge. J'adore Jankélévitch pour cette espèce de folie. Ce type m'émeut profondément. Peut-être à cause de son incapacité à pardonner, c'est-à-dire cesser de souffrir en se remémorant, non pas volontairement donc, mais parce que c'est comme cela, en lui, comme une sensibilité furieuse, qui correspond à ce que je vis dans la fidélité amoureuse, non pas un devoir corseté "j'y suis j'y reste et j'en suis fière", non pas l'incapacité à surmonter un "trauma" (explication psychanalytique, donc vraisemblablement fausse à 80%), mais autre chose, un je ne sais quoi, un presque rien, qui fait que l'on demeure à soi.

Martyre




Quand on lit dans le Second Livre des Maccabées, 7, les tortures endurées par une Mère Courage et ses sept fils, tout ça pour ne pas avaler de porc, on se dit mais jusqu'où le fanatisme peut aller ! Car il y a une réistance absolue à l'intolérance qui est aussi fanatisme et haine de la vie. Plus tard, les martyrs chrétiens feront de même. Il n'y a que l'islam qui, toujours pragmatique et dans une logique de victoire terrestre et d'efficacité politique, recommande la dissimulation, la taqiyah si chère aux chiites, à savoir qu'il est stupide de mourir en défiant un ennemi temporairement plus fort si l'on a aucun espoir de vaincre sur le moment ; qu'on ne doit ni vérité ni loyauté à son ennemi et qu'il est plus répréhensible de pécher en son coeur que de professer publiquement par contrainte une infidélité à laquelle on n'adhère pas dans son for intérieur. Il vaut mieux donc garder sa foi en son coeur et attendre le moment propice pour renverser la situation. Ce que ces huit crétins dans les Maccabées auraient pu faire, ne serait-ce qu'en attendant qu'Antiochus meurt ou bien de se rallier à la révolte de Judas. Mais non, une bouchée de porc avalée et Dieu se serait fâché à jamais. Pour ma part, ces morts-là ne m'inspirent aucune compassion ni estime, mais une pitié dégoûtée. Je ne pourrais jamais m'attacher à une religion qui refuse la malice et la ruse.

jeudi 26 mai 2005

Intello phraseur

L'Evangile selon Saint-Jean. Avec lui on quitte le terre à terre de la loi juive pour pédaler allégrement dans la semoule mystique du logos et de l'abstraction : un vrai Grec. D'ailleurs c'est dans cet évangile-là que le Christ ne dit plus "je suis là pour les Juifs", mais parle du "salut par les Juifs".

lundi 23 mai 2005

Cantique des cantiques

"D'ici que le roi soit à son enclos,
mon nard donne sa senteur.
Mon chéri pour moi est un sachet de myrrhe :
entre mes seins il passe la nuit.
Mon chéri pour moi est une grappe de henné
à la vigne de la Font-au-Biquet."

La bêtise chrétienne qui durant des siècles s'est efforcée de nous faire croire que le Cantique des cantiques était un chant d'amour mystique. Alors que même monothéïste, même infatuée de masculinité, la religion juive avait su reconnaître, avec ce poème, qu'un chant amoureux, que le couple amoureux, la danse du féminin-masculin, c'est le chant du monde, une forme de danse divine. Et il s'agit ici d'érotisme amoureux, voleur, clandestin, et non d'union mariale bénie par de vieilles barbes qui ne pensent qu'à la reproduction de leurs descendants.

Il est vrai qu'autour des juifs, tous les cultes païens d'Orient savaient chanter l'amour sacré. Mais ce cantique, d'ailleurs intitulé le Chant des chants de Salomon, est de même teneur que le Ramayana et a dû perturber des générations d'ecclésiastiques hélas pour eux voués au célibat.

dimanche 22 mai 2005

Osama



Film implacable de bout en bout, c'est l'histoire d'une souris obligée de sortir de son trou et alors court de cache en cache jusqu'à l'ultime souricière. Vu en VF, très énervée par les énervantes voix françaises qui doublaient horriblement mal, ou bien est-ce que parce que le placage de ces voix bien trop françaises juraient horriblement là où j'attendais les voix afghanes, expressions, intonations, chants, à cause de cela mis du temps à rentrer dans le film. Mais l'histoire est portée de bout en bout par le beau visage pathétiquement androgyne de Marina Golbarhari. Jusqu'à la fin, à cause des films iraniens, toujours plus souriants, j'attendais une happy end, mais non, un peu comme le Tombeau des lucioles, ça commence mal, et ça n'arrête pas. Cela dit, c'est la vérité. Dans le totalitarisme, il n'y a souvent de choix qu'entre la mort mort et la mort vivante.

jeudi 19 mai 2005

Ne plus exister
Être un océan de patience
Mais sans sagesse

Le Carnet arabe


"à la connaissance des scolastiques, il convient d'opposer l'expérience des spirituels, qui sont les seuls vrais théologiens : à la limite, pour oser parler de Dieu, il faut L'avoir vu."

"C'est parce que je suis comme Caton et que je ne m'intéresse qu'à ce que je vis, que je me refuse à faire de la politique en chambre. Et quant à l'action directe, il faut la laisser à ceux, et ils sont légions, qui ne sont capables de rien d'autre : avoir une pensée personnelle est le lot d'un petit nombre d'hommes ; mais s'agiter, brandir le poing et défiler par rangs de quatre est à la portée du premier imbécile venu."

"Alexandre - le "généreux Alexandre", célèbre pour sa magnanimité - massacra toute la population de Tyr, sauf quelques femmes et enfants - les plus beaux - qu'il vendit aux enchères et deux mille jeunes gens qu'il fit mettre en croix le long du rivage de la mer. Ce qui aujourd'hui nous indigne était alors naturel : Oradour et Deir-Yassin n'auraient pas été des crimes de guerre, mais l'attitude normale d'un vainqueur à l'endroit d'un vaincu. Et lorsque, de retour d'Egypte, Alexandre repassa par Tyr, il y solemnisa une fête somptueuse, où les pompes religieuses et militaires alternèrent avec les joutes théâtrales et gymniques, et à laquelle participa la fleur de la Méditerranée.

L'homme moderne, lui, a la vertu et l'émotivité d'une vierge : un rien le bouleverse. Au lit, la tête sur l'oreiller, il songe aux nouvelles du jour, et il soupire : "Pauvres Palestiniens ! pauvres Biafrais ! pauvres Vietnamiens ! Que puis-je faire pour eux ?" Il réfléchit longuement, il s'agit et soudain il trouve : "J'ai une idée ! je vais m'engager, je vais être solidaire, je vais poser un acte : demain matin, j'envoie une "libre opinion" au Monde." Puis il se tourne sur le côté et s'endort, la conscience en paix."

"Avoir une liaison avec une femme de lettres, c'est mettre le serpent python dans son lit."

"Je retrouve Tintin chez le gouverneur militaire qui, avec son visage gras, son crâne rasé et son uniforme à la Mao, ressemble comme deux gouttes de raki à un Bordure. Quant à l'ambiance qui règne dans ses services, elle est "socialiste", au sens soviétique du terme. Un je-ne-sais-quoi qui n'est ni russe ni syrien, et qui est propre à la petite-bourgeoisie marxisante. Grosses dames et bureaucratie."

"Une fois de plus j'observe que si je parle facilement de mes livres déjà parus, je n'aime pas évoquer celui que je suis en train d'écrire : j'ai le sentiment que si je le raconte, je ne l'écrirai pas."

"Cet instant délicieux de l'insomnie où, après une nuit blanche et alors que le jour commence à poindre, on se sent d'abîmer dans le sommeil, irrésistiblement.

"Un livre écrit en français déconcerte nos contemporains, qui croient que seul le charabia est profond."

On s'en fout

Il ne reste plus que neuf "Poilus" encore en vie.

lundi 16 mai 2005

Correspondance t. 1, Paul Léautaud


"Les actrices se croient généralement obligées, dès qu'elles jouent des personnages antiques ou mythologiques, de prendre des poses plastiques, hiératiques, de psalmodier comme des prêtresses. Elles veulent jouer aux vases grecs, et font les cruches."

Lettre à Mme Jacques Morland, Paris, le 18 décembre 1913.

"On m'a rapporté - ce n'est pas l'intéressé - que lors de la rupture, elle lui écrivit pour le consoler et lui remontrer qu'après tout il n'était pas à plaindre, ayant joui du "joli jardin de sa chair". Joli, si on veut, mais jardin, quand on la connaît ?... Une plate-bande, tout au plus."

Lettre à Rachilde, Paris, le 22 novembre 1915.

"Vous continuez aussi à n'avoir pas de chance. Cela tourne à la vocation."

Lettre à Charlotte Chabrier-Rieder, Paris, le 5 mars 1928.

Ecce enim veritatem dilexisti super nivem dealbabor



Toujours une grande émotion à écouter le Miserere d'Arvo Pärt, toujours associé dans mon esprit à cet hiver de neige et de chagrin. Je me souviens de cette sensation d'être au fond de tout, ensevelie sous la neige d'un hiver définitif. Ce Miserere et le Festina lente et le Cantus in memory of Benjamin Britten m'avaient apaisée. La fin, et après ? Je lisais Chalamov et cela allait bien aussi avec cette neige et ce chagrin. Je voyais la neige en tourbillon effacer mes pas, nous séparer, effacer nos chemins, perdus l'un à l'autre, manque de force, je ne pouvais plus le suivre, et cette paix alors, comme si je creusais un trou dans la neige et tel un lièvre de Sibérie, tel les détenus de la Kolyma, attendais le dégel, le printemps, les points rouges du sorbier rouge.

Ecce enim veritatem dilexisti incerta et occulta sapientiae tuae manifestasti mihi
Asparges me hysopo et mundabor lavabis me et super nivem dealbabor

dimanche 15 mai 2005


"No artist desires to prove anything. Even thing that are true can be proved."

The Picture of Dorian Gray, Preface, Oscar Wilde.

samedi 14 mai 2005

Correspondance t. 1, Paul Léautaud


"Les histoires d'amour et de rupture c'est comme les histoires de chasse : assommants."

Paris, le 24 février 1910, lettre à Pierre Pinteux.

"Il ne fait pas bon de montrer de l'intérêt aux bêtes, en ce moment. On vous regarde presque aussitôt de travers. "Mais les gens, Monsieur ! les enfants, Monsieur !" Oh! les gens, les enfants ! Je sais ce que sont les premiers pour la plupart, et par eux ce que seront les seconds."

1910, lettre à un anonyme.

vendredi 13 mai 2005

L'amour des bêtes


"J'ai pour les bêtes, toutes les bêtes, un coeur de concierge, et de vieille concierge. Si j'avais l'habitude des phrases poétiques, je dirais que je me sens le frère de ces vieilles femmes à cabas qui portent le soir à manger, aux grilles des jardins publics, aux chats sans patrons. Je ne donne jamais un centime aux pauvres, le spectacle des gens écrasés m'est indifférent, les gens qui pleurent aux enterrements me semblent très laids, et quand ma chère bien-aimée est malade, je vais me promener. Mais mon chat est le maître chez moi, mes fenêtres sont pleines de pain pour les oiseaux, je pars chaque matin avec des provisions de pain que je distribue à tous les moineaux de ma route, je donne du sucre aux chevaux de fiacre dont la misère finira par m'empêcher de sortir, j'achète de la viande aux chiens perdus que je rencontre, et si je m'écoutais, et si je le pouvais, ma maison serait pleine de bêtes, au lieu que j'y sois seul, car vous pouvez vous en douter, vous, un de ses oncles ! est bigrement loin d'être une bête. Que de cochers de fiacres j'ai dans mes relations, pour bavarder de temps en temps avec eux, et que de bonnes bêtes, dans mon quartier, qui me connaissent."

Paul Léautaud, Paris le 23 mars 1906, lettre à Charles Régismanset.

Voilà que je me replonge avec un très grand plaisir dans le volume 1 de la Correspondance de Léautaud. J'essaie de commander le volume 2, paru en octobre 2001, mais il est indisponible. Je ne comprends pas la politique de non-réédition des éditeurs.

Le regret, en lisant la Correspondance de Léautaud, de ne pouvoir lire ces romans, ces vers début de siècle dont il parle (souvent en répondant aux envois des auteurs) et qui doivent paraître bien fanés aujourd'hui.

Son élégance de style est telle que les compliments de circonstance, plus ou moins sincères, qu'il tourne aux auteurs n'apparaissent pas du tout comme flagorneurs, ni même hypocrites : c'est presque comme une politesse surannée, un art de cour.

mercredi 11 mai 2005

Ceux qui croient croire, ceux qui croient ne pas croire

La plupart des athées pensent (avec un rien de condescendance) que les croyants le sont parce que ça les arrange. C'est très souvent vrai, hormis pour ceux (très rares) qui ont la foi, eux ne croient plus, ils savent. Il est vrai que beaucoup de "croyants" le sont par horreur du vide, parce qu'un monde sans dieu leur serait insupportable. Mais combien d'athées refusent de croire par panique d'un dieu ? Parce que l'idée d'un dieu leur serait détestable ? Un croyant à qui l'on apporterait la preuve de son erreur sentirait certainement tout l'univers s'effondrer devant lui, mais un athée, qui plus est hostile à toute religion, réagirait-il mieux si soudain dieu était là ? Comme pour les "vrais" fidèles en religion, il y a très peu de vrais athées : ceux que ça ne dérangerait pas qu'il y eût un dieu, mais qui vraiment, ressentent que cela n'est pas. Tous les autres sont à l'aune des religions "primitives" qu'ils condamnent : ils imaginent le monde tel qu'il les rassure. D'où leur hargne finalement risible, cette réaction violemment épidermique, comme une allergie, devant toute manifestation visible de croyance. Devant une église, le véritable athée n'a pas d'émoi.

Irremplaçables ennemis


"dès qu'il y a une connerie à faire, les Arabes sont partants, et l'incontestable intelligence de la politique israélienne aura, depuis 1948, été sans cesse soutenue, fortifiées, par les erreurs et les balourdises de ses adversaires."


lundi 9 mai 2005

L'Accompagnatrice




Bien aimé ce film, qui pourtant laisse moins de place à la musique que je pensais, l'insistance porte sur les relations psychologiques. J'ai bien aimé la peinture douce-amère de l'occupation, mélange de veulerie, de valses hésitations entre la pureté et la compromission, vision mordante du "Paris mondain sous occupation". Richard Bohringer est magnifique dans ce film, je n'en suis pas fan d'habitude, mais là il anime la plupart des scènes à lui tout seul. Son personnage est terriblement attirant aussi, c'est de lui dont je serais plus volontiers tombé amoureuse, plutôt que le bellâtre résistant (je tombe rarement amoureuse du même homme que l'héroïne dans les films, je me demande pourquoi). Elena Safonova je la trouve falote à côté. Romane Bohringer a plus de présence, mais ne varie guère ses expressions : "sourire timide", "regard muet", le mimétisme avec Charlotte Gainsbourg est évident, renforcé par la ressemblance physique, même visage de judéo-russkoff. Fin douce-amère, pas morale heureusement, la veuve éplorée épouse son amant. Par rapport au roman dont je n'ai lu que quelques extraits, la violence de l'amertume sociale est atténuée, on ne parle guère des propos de flamme de Nina Berbérova sur le peuple de Saint-Pétersbourg mourant de faim, Miller a choisi de se concentrer sur le vague à l'âme de Sophie Vasseur, qui, et cela est tout de même à porter au crédit de Romane Bohringer, arrive tout au long à intéresser, sans être vraiment sympathique, ni vraiment antipathique non plus.

vendredi 6 mai 2005

La Jeune Fille à la perle












Le film La jeune fille à la perle m'a rappelé ce voyage que j'avais fait avec ma mère en Hollande, en mai 96, pour l'exposition Vermeer à la Haye. Relu les pages de mon journal d'alors :



"Amsterdam, le jeudi 2 mai 1996

Musée Van Gogh. Les premières oeuvres : portraits creusés, tourmentés, caricatures. Une lumière noire (en ce moment, Amsterdam est recouverte d'une buée grise).



Les Mangeurs de pommes de terre : le café noir, la tabagie, les pommes de terre. Une pauvreté crasse, sans joie, calfeutrée dans un intérieur. A côté de cela, la lumière grise, argentée, les personnages gracieux de Le Nain.

La lumière de la Méditerranée donnée à Van Gogh, d'un coup : quel choc, quel éclat !

Amsterdam est une ville coquette, vernissée. D'une certaine façon, elle ne fait pas vraie. C'est un décor. D'ailleurs la ville elle-même n'est animée que par les façades. Après un voyage de nuit assez pénible, nous avons débarqué à huit heures dans une ville grise, figée, avec des drôles de façades bariolées. C'est une ville d'intérieur, faite pour se calfeutrer. Grande différence avec Paris, où tout le monde est dehors. Par contre, les gens sont d'une amabilité stupéfiante.

Une ville où tout glisse si lentement, immobile dans le courant du fleuve. Un temps, des vies immuables, ordonnées. Un monde étouffant, en final.Même les allures bizarrement penchées des maisons ne créent pas une impression brouillonne, fantaisiste, mais l'idée curieuse du'ne ville en train de s'ensevelir tout en refusant d'y croire. Ou du moins en essayant de faire comme si cela n'était pas.

Les Souliers de 1889. A comparer avec les premiers. Un calme, un équilibre, une sérénité classique. Et pourtant, il les a peints de Saint-Rémy.

Très belle étude d'après Millet : une botteleuse ? de dos. Beauté sculpturale des femmes. Très difficile de réussir quelqu'un de dos en peinture.


Vermeer. La séduction incroyable de certains visages même pas beaux (Marthe). 



Ce visage allongé, mince, insolent, qui charme même par son absence de séduction (La jeune fille à la perle). Cela me rappelle le portrait d'Odette de Crécy peint par Elstir.



Emue aux larmes devant la Vue de Delft. Je pensais à Proust, à la mort de Bergotte.


Amsterdam, 3 mai 1996

Beaucoup de remarques de Diderot sur la Hollande sont encore vraies aujourd'hui : le nombre de chevaux, le peu de vie à l'extérieur.

Lorsqu'un peu de soleil éclaire la ville, elle devient charmante, dans une apparente fragilité de "maisons de poupées".

Le Mauritshuis de La Haye est un beau bâtiment. De la cafétéria, superbe vue sur l'eau, les bois, les canards.

Ni Amsterdam ni La Haye ne semblent être des capitales, ou même des grandes villes. "La Hollande, vaste village", reste d'actualité.

Haarlem. Les personnages noirs, plein de santé, de bonne conscience. Rigueur, efficacité. La Hollande du 17° s., dans le musée Franz Hals. Richesse, vertu. Une austérité chaleureuse et sombre, sécurisante. Rien à voir avec la pureté foudroyante et macérée des Espagnols. Quelque chose d'aimable. J'aime décidément l'atmosphère du 17° siècle. Propre à la méditation.


Paris, le 6 mai 1996

Le musée Franz Hals est une merveille, la reconstitution d'intérieurs et d'époques, om tableaux et objets d'art sont mêlés, ce qui évite la longue suite ennuyeuse de chefs d'oeuvre accrochés aux murs des grands musées.

Le samedi, coups d'éclaircie et d'ombre dans Amsterdam. Longue balade dans le quartier des canaux. Rijksmuseum l'après-midi. Mais nous étions tellement fatiguées que nous n'avons regardé que les Hollandais du Siècle d'Or.

Puis à nouveau, balade dans le Jordaan. Le train à 22 heures. Le voyage de retour fut bien plus confortable et les couchettes ne nous semblaient plus si dures après tant de marche. Arrivée à Paris à 6h23, sans problème."




jeudi 5 mai 2005

"La moquette ne me chatouillait pas tout à fait les chevilles."


Je n'aime pas trop Chandler, d'ailleurs aucune histoire de privé ne m'a jamais enchanté, à part le fabuleux Un Privé à Babylone, mais ça c'est autre chose. Cela dit, dans Bay City Blues, il y a quelques phrases que j'ai trouvées bien tournées et qui m'ont fait rire :

La moquette ne me chatouillait pas tout à fait les chevilles."

"Elle arborait l'expression froide et dédaigneuse de la sauterelle qui a donné rendez-vous d'avance à une telle flopée de mecs qu'elle doit réfléchir à deux fois avant d'accepter un rancart avec un maharadja chargé d'un panier de rubis."

Et aussi dans Déniche la fille (Try the Girl) :

Sous un brillant soleil d'automne, je remontais dans ma voiture. J'étais le bon zigue qui tâchait de se débrouiller pour s'en tirer. Oui. J'étais un gars comme ça. J'étais content de me connaître. J'étais le genre de type qui arrachait à une vieille épave à moitié pourrie ses plus chers secrets pour gagner un pari de dix dollars."

trad. Henri Robillot)

mercredi 4 mai 2005

"Ce n'était qu'un myope un peu poseur"



"... Mme Angèle m'a raconté qu'un aveugle à canne blanche, dans les couloirs du métro, faisait peine aux passants qui lui cédaient le pas et le regardaient avec tristesse. Soudain on le surprend qui, lunettes relevées, déchiffre un plan sur un mur. Ce n'était qu'un myope un peu poseur. Ceux qui le plaignaient, qui l'aidaient, se précipitent sur lui, le giflent, le houspillent. En somme, et tout compte fait, ils le punissaient d'y voir..." Léautaud, Correspondance.

lundi 2 mai 2005

Suite française



Il y a un moment magique, sur la fin de la Première Suite française pour clavecin en ré mineur BW 812, avec les deux menuets qui se suivent. D'accord confidence grave et fluide, la petite voix intérieure, c'est comme le murmure de Dieu, inaudible et saisissant. Et puis un silence. Et soudain une ritournelle, quelques notes fières, fiérottes même, mais aussi hautaines et fragiles, martelées légèrement comme on tape du talon sur le sol, grave infante espagnole au menton haut, réponse de la fragile créature à son Créature : "Je me débrouille quand même."

Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.