samedi 31 décembre 2005

Le concept d'histoire


"Ce qui pour nous est difficile à comprendre est que les grandes actions et les grandes oeuvres dont les mortels sont capables, et qui deviennent le thème du récit historique, ne sont pas vues comme les parties d'un tout qui les enveloppe ou d'un processus ; au contraire, l'accent est mis toujours sur des cas singuliers et des gestes singuliers. Ces cas singuliers, actions ou événements, interrompent le mouvement circulaire de la vie quotidienne au sens où la bios rectiligne des mortels interrompt le mouvement circulaire de la vie biologique. La substance de l'histoire est constituée par ces interruptions autrement dit par l'extraordinaire.


Quand dans l'antiquité tardive des spéculations commencèrent sur la nature de l'histoire au sens d'un processus historique et sur le destin historique des nations, leur ascension et leur déclin, où les actions et les événements particuliers étaient engloutis dans un tout, on pensa d'abord que ces processus devaient être circulaires. Le mouvement historique commença d'être construit à l'image de la vie biologique. Dans les termes de la philosophie antique, cela pouvait signifier que le monde de l'histoire avait été réintégré dans le monde de la nature, le monde des mortels dans l'univers qui est à-jamais. Mais dans les termes de la poésie et de l'historiographie antique, cela signifiait que le sens antérieur de la grandeur des mortels, distinguée de la grandeur assurément plus haute des dieux et de la nature, avait été perdu."


vendredi 30 décembre 2005

De l'inconvénient d'être né


"Gogol, dans l'espoir d'une "régénération", se rendant à Nazareth et s'y ennuyant comme "dans une gare en Russie", c'est bien ce qui nous arrive à tous quand nous cherchons au-dehors ce qui ne peut exister qu'en nous."

"Aller aux Indes à cause du Védânta ou du boudhisme, autant venir en France à cause du jansénisme. Encore celui-ci est-il plus récent, puisqu'il n'a disparu que depuis trois siècles."

"Flaubert, devant le Nil et les Pyramides, ne songeait, suivant un témoin, qu'à la Normandie, aux moeurs et aux paysages de la future Madame Bovary. Rien ne semblait exister pour lui en dehors. Imaginer, c'est se restreindre, c'est exclure : sans une capacité démesurée de refus, nul projet, nulle oeuvre, nul moyen de réaliser quoi que ce soit."


jeudi 29 décembre 2005

De l'inconvénient d'être né


"Il existe une connaissance qui enlève poids et portée à ce qu'on fait : pour elle, tout est privé de fondement, sauf elle-même. Pure au point d'abhorrer jusqu'à l'idée d'objet, elle traduit ce savoir extrême selon lequel commettre ou ne pas commettre un acte c'est tout un et qui s'accompagne d'une satisfaction extrême elle aussi : celle de pouvoir répéter, en chaque rencontre, qu'aucun geste qu'on n'exécute ne vaut qu'on y adhère, que rien n'est rehaussé par quelque trace de substance, que la "réalité" est du ressort de l'insensé. Une telle connaissance mériterait d'être appelée posthume : elle s'opère comme si le connaissant était vivant et non vivant, être et souvenir d'être. "C'est déjà du passé", dit-il de tout ce qu'il accomplit, dans l'instant même de l'acte, qui de la sorte est à jamais destitué du présent."

"On peut supporter n'importe quelle vérité, si destructrice soit-elle, à condition qu'elle tienne lieu de tout, qu'elle compte autant de vitalité que l'espoir auquel elle s'est substituée."

"La pensée n'est jamais innocente. C'est parce qu'elle est sans pitié, c'est parce qu'elle est agression, qu'elle nous aide à faire sauter nos entraves. Supprimerait-on ce qu'elle a de mauvais et même de démoniaque, qu'il faudrait renoncer au concept même de délivrance."

"Ce "glorieux délire", dont parle Thérèse d'Avila pour marquer une des phases de l'union avec Dieu, c'est ce qu'un esprit desséché, forcément jaloux, ne pardonnera jamais à un mystique."

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vendredi 23 décembre 2005

mercredi 21 décembre 2005

Harlem Quartet


"Si la vie de quelqu'un d'autre vous absorbe à ce point, cela veut dire que vous avez peur de la vôtre - comme les missionnaires et les anthropologues, fripouilles au grand coeur et aux fesses serrées - et, pourtant, il est vrai aussi - poupées russes ! - que nous sommes tous, pour toujours et chaque jour, partie intégrante."


samedi 17 décembre 2005

Harlem quartet


"Peut-être tous les chants gospel sont-ils nés du blasphème et de la présomption - ce que l'Eglise appellerait blasphème et présomption : s'identifier à la souffrance de Dieu et la faire sienne, s'identifier à sa propre souffrance et mette le Tout-Puissant au défi d'accorder ou de refuser sa miséricorde. Nous serons deux au pied de la pitié : mon Dieu et moi !"


mardi 29 novembre 2005

Le Docteur Jivago


"Nous nous dirons encore l'un à l'autre nos paroles secrètes de la nuit, grandes et pacifiques comme le nom de l'océan d'Asie. Ce n'est pas un hasard si tu es là, au terme de ma vie, mon ange secret, mon ange interdit, sous un ciel de guerres et d'insurrections ; il y a bien longtemps, au commencement de ma vie, sous le ciel paisible de mon enfance, tu es apparue de la même manière. Cette nuit-là, dans ton uniforme marron de lycéenne, dans la pénombre, derrière la cloison de la chambre d'hôtel, tu étais absolument semblable à ce que tu es maintenant et tu avais la même étourdissante beauté."

"Nous, on dirait qu'on nous a appris à nous embrasser au ciel et qu'on nous a renvoyés sur terre, enfants, pour vivre en même temps, pour éprouver l'un sur l'autre notre amour. Une union parfaite, une couronne, sans côtés, sans degrés hauts ou bas, tout ayant même valeur, tout engendrant la joie, tout en nous se faisant âme. Mais dans cette tendresse sauvage qui à chaque instant pourrait nous dévorer, il y a quelque chose de puérilement rebelle, de "défendu". "

jeudi 24 novembre 2005

Le Docteur Jivago


"C'était un adolescent mince et élancé, un blanc-bec qui, comme une bougie d'anniversaire, brûlait pour les idéaux les plus sublimes."

"Trois années de changements, d'imprévu, de voyages ; la guerre, la révolution, tous leurs bouleversements, les fusillades, les scènes de ruine, les scènes de mort, les destructions, les incendies, tout cela se transforma en un vide dénué de sens. Après un long intermède, le prmeier événement d'importance, c'était cette course vertigineuse du train vers une maison encore intacte, dont la moindre pierre était précieuse. C'était la vie, c'était cela l'épreuve, c'était cela l'épreuve, c'était cela le but des chercheurs d'aventures, c'était cela le but final de l'art : retrouver les siens, rentrer chez soi, recommencer sa vie."

mercredi 23 novembre 2005

Sur le dos de la vie

l10h du matin. Comme à chaque fois avant de rencontrer quelqu''un qui semble en attendre beaucoup, refus et révolte, colère presque : "mais qu'attendez-vous de moi ? moi qui n'ai rien à donner...".

Comme le héros de Mysterious skin, j'ai un trou noir à la place du coeur.

19h. Bon allez fais pas ta mijaurée, de toute façon tu sais pas ce que tu peux donner, apporter, prendre, c'est le libre marché, les rencontres.

19h30. Et en plus il est en retard. Bien fait. C'est ce qui arrive toujours aux gens qui disent "je suis ponctuel". Jamais j'irai dire des conneries pareilles. Enfin bon, de la part de quelqu'un qui n'a pas arrêté de me seriner "nan mais je partirai à 21h au plus tard, hein..." Ouais ben si t'arrives à 220h45, bien la peine.

Bon j'envoie un SMS parce que j'adore râler dans mon bon droit (quand j'ai tort aussi).

19h35. Un mec déboule dans la salle. Il a un parka, des cheveux longs et gras, un portable en main et semble chercher des yeux quelqu'un. Oh non merde, pourvu que ça soit pas lui... il a l'air d'un raseur, putain j'aime pas ses yeux, il regarde vers moi, oh non avec sa tête à s'appeler Jean-Michel...

Non ça va, il se tire. ça doit pas être lui. D'ailleurs il a pas de lunettes. Bon qu'il arrive, avec une tête sympathique, et qu'on commence, quoi. Tiens prendre un kir en attendant. Pas de raison de patienter vu que je ne suis pas (toujours) patiente.

19h42. Bon ça y est le v'la, ouf il a l'air humain comme sur ses photos. Par contre pas baraqué du tout, ni joufflu. Quand je pense que son petit con de copain parle de lui comme d'un bûcheron. Là on dirait une grande gigue frêle. Queue de cheval et blouson de cuir, très intello parisien en final. quand je dis "bonjour" en ronchonnant il tombe en arrêt :"je m'attendais pas à cette voix fluette" s'étonne-t-il presque sur un ton de reproche. A sa mimique je comprends qu'il aurait pensé à un mix de voix à la Jeanne Moreau et de Claire Denis. "Ben non, et en plus j'ai un cheveu sur la langue." "Ah oui ? s'extasie-t-il hypocrite. C'est bien, ça !" D'façon lui aussi il a une voix fluette, que je dis. "Ah oui, moi j'ai une voix de merde ! approuve-t-il. Et comme je suis mal élevée, je me récrie pas.

Donc une fois assis, installé, il commence par me réciter son compliment, comme une petite fille qui tend des fleurs à un sous-préfet. "Je suis vachement content de te rencontrer et tout ça..." ce qui me fait rire : "attends d'arriver à la fin pour en être sûr." Et bon je lui raconte ma terreur que le glandu qui cherchait quelqu'un dans la salle soit lui, parce qu'il avait des cheveux longs et gras et ça le fait rire et il me dit que c'est pour ça qu'il porte une queue de cheval, c'est les jours où il a le cheveu gras. "Comme les femmes le hijeb, quoi", je dis (oui mes références sociologiques se situent toujours entre Berry et Poitou, comme on sait). Et après on discute coiffeurs et coiffures et on s'arrête et on se marre en se disant qu'on a l'air fin à discuter coiffure alors que c'est une rencontre historique merde. Du coup on change de sujet et pour relever le débat on parle du pliage des T shirts et comme on est vachement sages de ne jamais les repasser vu que ça se repasse tout seul sur le corps une fois enfilés.

Très intéressant, tout ça.

Mais bon à un moment on a dû faire une transition potable, d'autant plus qu'il m'avait fait un cadeau et que je n'en ai pas renversé mon kir sur son jean. Donc on a parlé d'amour et de mort, d'intuition et de tripes, de soufisme et de cul-bénis, d'Adso (le seul qui me parle franchement d'Adso tiens, d'habitude les autres évitent ce sujet come s'il s'agissait d'une maladie douloureuse à ne aps mentionner), de dandysme et de Balzac, il m'a raconté sa vie, et comment il a eu la chance d'avoir eu des parents communistes (et là j'approuve, c'est une aristocratie en soi), et de l'écriture et des écrivains, il n'arrête pas de bouger ses mains quand il parle, je me demande si j'en fais autant), et de la nuit du chasseur, et enfin de pleins de trucs sur lesquels on a été tellement intéressant et spirituel que naturellement je me souviens plus du détail de la conversation sur les coiffeurs et les tee-shirt froissés, puisque le temps a coulé tranquille comme il le devait et qu'à 21h je me suis dit "tiens il devrait partir" mais on n'avait à peine commencé à parler et à 21h30 je me suis dit "il exagère, il des cartons à emballer quoi" et puis à 21h40 il me demande si je veux aller bouffer quelque part... Malin, ça, on aurait pu commencer par là... Alors je lui dis qu'il l'est pas, malin, 1/ de se décider maintenant et 2/ de faire ça un soir de grève parce que j'ai un blanc dans les trains entre 23h et 12h et puis je me méfie et euh... 23h c'est bien comme train. Donc on reprend une bière (on en a bu pas mal, j'avais un peu mal au crâne le lendemain, mais c'est ça la guerre, il faut des désagréments) et on reparle, et on compare nos couleurs d'yeux qui sont les mêmes, et je lui dis "des yeux d'alien" et il se rengorge, et on va pisser parce que la bière quoi...

Et soudain il saute sur son siège en disant "et les tarots quoi !" Alors je sors mon jeu Visconti flamboyant d'or et mon Tarot de Milan tout usé et je lui demande ce qu'il veut savoir pour choisir le tirage et je me souviens plus ce qu'il demandait, on a tiré trois cartes chacun, j'ai lu mon tirage : X. Roue de Fortune - XV Diable - XXI Monde, et le sien : VII Chariot - VI Amoureux - XVI Maison-Dieu. Les deux ayant la Roue de Fortune en synthèse. Bah je voyais pas trop ce que ça voulait dire mais j'ai dit sans trop m'écouter ce qu'étaient les cartes et il approuvait vigoureusement comme s'il était d'accord, alors que moi j'étais dans le brouillard, surtout dans les vaps d'alcool, mais bon s'il a eu des réponses, et en plus des réponses à des questions, ça va.

et à 22h30 il suggère timidement qu'on va pas tarder et je lui dis qu'on décanille tout de suite même, mon train quoi.

Alors on est sorti et on s'est quitté devant le métro et il a eu presque un élan affectueux comme pour me tapoter dans le dos et j'aurais pu faire pareil avec 50 cm de plus.

Et puis même, à la fin, j'ai eu mon train. Et je me disais que c'est bien de m'être fait un pote et que ça me manquait. J'étais sur le dos de la vie, quoi.

On s'en fout

Johnny Depp se demande comment la France va se relever.

lundi 21 novembre 2005

Le Docteur Jivago


Relecture, encore et encore... enfin à intervalles qui se comptent en années, je me replonge dans ce bouquin, qui m'avait happée à seize ans. Je ne sais pas pourquoi ni en quoi, mais je me dis que ce livre m'a doucement influencé en je ne sais quoi, s'est imprimé d'une certaine façon, en creux :

"Impur, seul l'est le superflu. Lara était l'être le plus pur au monde."
éUn jour elle eut un rêve. Elle était sous terre, il ne restait plus d'elle que son flanc gauche jusqu'à l'épaule et la plante de son pied droit. Une touffe d'herbe sortait de son sein gauche, et sur la terre on chantauit "Les yeux noirs et les seins blancs" et "On défend à Macha d'aller à la rivière".

Roman-kaléidoscope. A chaque fois que je l'ai ouvert, j'y ai vu des éclats de joyaux s'en détacher, qui semblaient n'y pas être - ou du moins pas si visiblement - auparavant :

"Quelques instants plus tard, la rue était presque vide. La foule s'était dispersée dans les ruelles. La neige tombait moins dense. Le soir était sec comme un dessin au charbon. Soudain le soleil, qui se couchait là-bas, quelque part, derrière les maisons, apaprut à un tournant et se mit, aurait-on dit, à montrer du doigt tout ce qu'il y avait de rouge dans la rue : les bonnets à fond rouge des dragons, la toile du drapeau rouge abandonné, les filets et les points rouges des traces de sang qui s'allongeaient sur la neige."

Eclat de rire :

"C'était l'un de ces disciples de Léon Tolstoï dans la tête desquels les pensées d'un génie qui n'avait jamais connu la paix s'étaient couchées pour goûter un long repos sans nuages, et s'amenuisaient sans espoir."

Et bouleversant aussi, à en pleurer, ce court chapitre sur la "chute" de Lara :

"Un jour, d'ici de longues années, lorsqu'elle pourra, Lara racontera tout cela à Olia Diomina. Olia la prendra dans ses bras et se mettra à hurler.

Dehors les gouttes gazouillaient, le dégel bavardait à bâtons rompus. Quelqu'un, dans la rue, cognait à la porte des voisins. Lara ne levait pas la tête. Ses épaules tressaillaient. Elle pleurait."

dimanche 20 novembre 2005

Les Rois maudits


Vu le premier épisode, c'est déjà suffisant pour me faire une idée : nul à chier.

Et même c'est scandaleusement se foutre du monde. Trahir à ce point le roman et le Moyen-Âge, l'histoire et l'Histoire, c'est fort.

Déjà, première scène entre Molay et Philippe le Bel : le roi vindicatif, pétulant, affrontant directement et verbalement le Grand-Maître, ce qui est en contradiction totale et avec le livre et avec les récits des contemporains, qui décrivent tous Philippe IV comme taciturne, muet, voire glacé, comme disait l'évêque Bernard Saisset : "il ne sait que regarder fixement les gens sans parler, ce n'est ni un homme ni une bête, c'est une statue." Le Bel laissait aller ses ministres et agents d'Etat affronter les oppositions, lui se contentait d'assister muet au débat, et puis de trancher à la fin, à tel point que certains se sont demandés si ce" roi de fer" n'était pas un imbécile manipulé par ses ministres. En fait, Philippe le Bel ne se serait jamais commis à s'engueuler avec un Templier bientôt accusé d'hérésie, fut-il le Grand-Maître, il est le roi, c'est-à-dire la représentation incarnée de la majesté. Le Saint-Louis de Manneville, c'est lui. Son gisant (peut-être d'après un moulage mortuaire) c'est lui aussi. Quant à l'affrontement Templiers/Royauté il est mal compris. Jacques de Molay plaidant pour le peuple ! Mais les Templiers s'en foutent du peuple, Molay représente l'Ordre souverain face à cet Etat qui se constitue contre la féodalité. Plus tard on aura les Jésuites ou la Ligue contre le gallicanisme.

Autre chose qui choque, mis à part le physique, (T.Karyo est trop malingre. Philippe le Bel est grand, blond et athlétique, et connaissant les canons médiévaux, s'il fut appelé le Bel, c'est qu'il était blond ou à tout le moins très clair) la coiffure : cheveux ras, étrange, de même la boule à zéro de Marigny. Je sais pas, mais on a assez de statues et de miniatures du 14° siècle pour savoir qu'ils portaient cheveux mi-longs. Là Philippe le Bel a les cheveux courts, comme un vilain, comme un serf.

Autre scène vachement vraisemblable, l'arrestation des Templiers. Jacques de Molay, tous ses hommes, des moines soldats, entraînés à se battre et conditionnés pour mourir plutôt que de se rendre (parce qu'en Terre Sainte il n'était pas question d'abjurer pour avoir la vie sauve) regardent bouche bée les hommes du roi arrivés tranquillement et les arrêter, comme ça, sans se défendre, sans tirer l'épée, sans l'ombre d'une résistance. Je sais pas, il paraît bien mou celui qui a repris une dernière fois Saint-Jean d'Acre aux musulmans. Passons aussi sur ces prisonniers qui après sept ans de cachot et de sous-alimentation sortent de là les cheveux propres, avec toutes leurs dents, et blanches s'il vous plaît, alors que dans le roman ils sont justement présentés pour ce qu'ils doivent être : quatre vieillards brisés et en loques, édentés, boitant, les mains déformés par la torture...

Ensuite les décors : là on en a plein les yeux. On voit rien, c'est soit tout rouge, soit tout vert, on se croirait dans une boite de nuit avec des lampes de diverses couleurs, mais c'est à croire qu'au 14° siècle on n'avait pas encore inventé les fenêtres, et qu'on vivait dans des caves ou des bunkers (avec des lanternes de couleurs qui donnent une lumière digne du Lotus bleu ou de n'importe quel fumerie ou bordel de Cochinchine). De temps à autre, enfin pour faire transition entre deux scènes d'intérieur, on a une vue d'achitecture, presque toujours de nuit, une tour se découpant dans le ciel avec une grosse lune dorée : Hogwarts School. Donc si on veut avoir une idée de ce qu'était la lumière dans les intérieurs médiévaux, mieux vaut regarder Barry Lyndon, Louis enfant roi, La Vie de Molière, ça donne un meilleur aperçu, l'éclairage n'ayant pas trop changé entre le 14° et le 17-18° siècle. Idem pour les murs, dont on se sait pas s'ils sont faits de dalles de béton ou de fer boulonnés... Pas une tapisserie pour les couvrir ni une botte d'herbe au sol, je passe sur le design in du fauteuil de la reine d'Angleterre, avec ses léopards si chouettement stylisés...

Le personnage principal des Rois maudits, celui qu'on suit tout du long, c'est Robert d'Artois. Un géant roux, normalement. Du coup, Depardieu aurait mieux collé. On insiste sur son gigantisme, autant que sur celui de sa tante Mahaut. Les d'Artois sont des géants qui dépassent tout le monde, d'au moins une tête, dans les assemblées. Au lieu de ça on a Torreton, qui imite (mal) le jeu de Jean Piat et qui, quand il parle à Tolomei doit lever la tête pour le regarder dans les yeux. A part ça, hyper-fade dans le rôle. Mais le pire, c'est Tolomei justement. Le signor Tolomei ! Cet usurier lombard, ce marchand de Venise, qui est aussi le senhor Oliveira da Figueira dans Tintin au Pays de l'or noir ! Mielleux, cauteleux, rusé, Louis Seigner était parfait là-dedans. Ici on n'a retenu que l'accent italien, comme si c'était tout... On a aussi l'oeil toujours fermé, celui qui ne s'ouvre que "quand il dit la vérité, c'est dire si c'est rare"... Mais comme justement l'acteur ne laisse transparaître aucune ruse, aucune roublardise, on pense simplement qu'il est borgne, quoi.

Absence criante sinon : le peuple. Il est pas là. On a que des figurants muets et immobiles comme des potiches, qui regardent, par exemple, brûler les Templiers. Alors que la force du roman de Druon, c'était d'échapper à ce travers des romans historiques, qui est de ne pas présenter les gens de façon toute simple, réaliste, d'oublier que le Moyen-Âge, c'était aussi monsieur-tout-le-monde, et de le faire sentir, avec ces petites phrases qui tuent, ainsi au moment où l'on met le feu au bûcher, et où toute la foule bruissante et bavarde se tait soudain et alors, dans le silence, "un enfant éternua. Presque aussitôt, on entendit claquer le bruit d'une giffle." Dans ces Rois maudits-là, on n'éternue pas et on ne claque pas les moutards, mais la reine Isabelle se promène tout du long avec une couronne de carton doré sur le crâne (enfin vu le poids d'une couronne on espère pour elle qu'elle est en carton), à croire qu'elle ne l'enlève même pas au lit.

Bref, je mets cent fois au dessus Kingdom of Heaven, qui avec toutes ces erreurs (pas très graves, par ailleurs) avaient des images superbes et des acteurs qui jouaient pour de vrai, eux.


jeudi 17 novembre 2005

De la nécessité des étiquettes


"LE ROI
Pourquoi mets-tu des étiquettes sur tout, pour justifier tes sentiments ?

BECKET
Parce que, sans étiquettes, le monde n'aurait plus de forme, mon prince...

LE ROI
Et c'est important que le monde ait une forme ?

BECKET
Capital, mon prince, ou sinon on ne sait plus ce qu'on y fait."


samedi 12 novembre 2005

La loi juive, si sévère pour l'adultère, offre de curieux cas où pour sauver sa peau, un homme n'hésite pas à prostituer sa femme ou à livrer une concubine à un viol collectif. C'est le cas d'Abraham, qui par deux fois, une fois chez Pharaon une autre chez un roi de Palestine, se fait passer pour le frère de Sarah (alors qu'il n'est que son demi-frère et époux), par peur que la convoitise qu'elle va susciter ne lui coûte la vie. Par conséquent, Pharaon passe un agréable moment avec Sarah avant de découvrir la vérité (via une maladie malencontreuse, qui est en fait une punition divine pour l'adultère commis) et le roi paslestinien manque de faire pareil et tous deux de le reprocher ensuite à Abraham, qui récupère ainsi quelques cadeaux et compensations en dédommagement de "l'outrage" qu'on lui a fait.

Dans Juges, 19-20, un lévite a une concubine infidèle qui le plaque et retourne chez son père. Il va la rechercher, se réconcilie , refait avec elle le voyage du retour pour la ramener au foyer conjugal. Chez un certain Ephraïm, une troupe de vauriens les attaque et veut faire au lévite ce que les sodomites souhaitaient faire aux anges chez Lot. Comme Lot, Ephraïm leur propose sa fille vierge plutôt que de laisser maltraiter un hôte (ce qui est envisageable dans le code d'honneur de l'hospitalité). Mais le lévite trouve une meilleure solution : il sort, leur refile sa concubine (à laquelle il semblait pourtant tenir) et celle-ci se fait violer toute la nuit jusqu'à en mourir. Alors le lévite ramasse le corps, le coupe en douze morceaux et envoie les bouts aux douze tribus pour appeler à la vengeance, s'ensuit donc une guerre logique contre les fils de Benjamin dans une vendetta conventionnelle des tribus.

N'empêche que dans ce monde méditerranéen si chatouilleux sur l'honneur des femmes, se sortir d'une mauvaise passe en prostituant sa femme a quelque chose de curieux. Je me demande s'il n'y a pas là une survivance archaïque de je ne sais quel qanun tribal ou villageois.

vendredi 11 novembre 2005

Mot


"Je crois en la puissance des mots. Telle est ma chimère. J'imagine qu'avec mes mots, mes pauvres mots, je vais bouleverser les coeurs, modifier le destin, transfigurer le cosmos. Telle est mon utopie. Je me prends pour Dieu."

jeudi 10 novembre 2005

Militantisme


"Une nuit, au Crazy Horse. Quand Alain bernardin, présentant chacune de ses belles danseuses nues, observa qu'Alexa Polskaschnikoff était de nationalité polonaise, ce fut un tonnerre d'applaudissements. Il est vraiment réconfortant de noter que, même en ces heures tardives, le courage politique des noctambules ne faiblit pas, et que leur vigilance militante est sans cesse aux aguets. la Pologne peut dormir tranquille : le Tout-Paris veille."
Le taureau de Phalaris: Dictionnaire philosophique

Mort


"Je songe souvent à cet évêque bulgare (pas un évêque en complet veston, mais un grand seigneur à l'ancienne mode, un prince de l'Eglise) qui, interrogé par Dimitri Ermoloff sur l'au-delà, lui avait répondu en lissant sa barbe qu'il avait fort majestueuse : "Assurément, il y a quelque chose après la mort... mais, hum... on exagère beaucoup."

"Le Christ parle volontiers des méchants, mais il ne dit rien des crétins."

"Ce qui importe, ce ne sont pas les étiquettes unanimes, ce sont les visages.


Départ


"On offrirait aux gens qui se donnent la mort, juste avant qu'ils ne commettent l'acte irrémédiable, un billet d'avion pour partir se reposer dans une île du Pacifique, la plupart d'entre eux choisiraient le billet d'avion. Ce que désirent les suicidaires, ce n'est pas mourir, c'est que la situation où ils se trouvent se modifie, revête une autre forme."

"Les discours sur le langage, sur l'échange, sur la communion, m'exaspèrent. La vérité, c'est l'indifférence des êtres pour les êtres. Les gens se passent admirablement de nous, de nos livres, de notre visage et de notre voix. Nous vivons seuls, et un jour nous mourrons seuls. Enfin, ce sera le silence."


mercredi 9 novembre 2005

Avenir


"Un esprit libre a toujours un pied dans le camp d'en face."


Eros et christianisme

L'amour antique a disparu dans le christianisme. C'est un amour écouillé, philia, agapê, mais pas Eros, qui a trouvé heureusement asile en Islam.
Si Matzneff demande à la philosophie d'être une école de bonheur, d'hédonisme, moi j'attends d'elle qu'elle soit une école d'action, une morale d'action. En cela, Jankélévitch me parle plus que les épicuriens ou les stoïciens, lesquels chacun à leur manière, enseignent à ne pas souffrir ou à moins souffrir. Moi, il me faut une règle du comment-agir. Et sans dogme, s'il vous plaît. Car rien n'atrophie plus le sens moral qu'un dogme, qu'il soit religieux ou politique.

Ma haine du dogme. Non, une répulsion, un recul instinctif, comme devant l'emmerdeur grossier qui vous parle de trop près et vous inflige sa mauvaise haleine, tellement il est pressé de vous convaincre. Dès qu'on met une majuscule à un nom commun, avec gri-gri, encens, livre sacré, eau bénite, il faut se méfier. L'incantation n'est jamais qu'une forme de trouille.

Etiquettes


"Les anarchistes ont des idées de gauche et un tempérament de droite, au lieu que les fascistes ont des idées de droite et un tempérament de gauche.
L'anarchisme est aristocratique, et le fascisme plébéïen.
L'anarchiste, qui ne croit qu'en sa propre destinée, est byronien ; le fasciste, qui révère l'Etat, est hégélien.
L'anarchiste boit du vin de Bourgogne et mange des truffes ; le fasciste boit de la bière et mange de la choucroute.
L'anarchiste soigne sa ligne et pèse à cinquante ans le même poids que le jour où il a passé le conseil de révision ; le fasciste, au-delà de trente ans, prend du bide.
Le fasciste aspire au pouvoir et l'anarchiste au sublime.
Il y a du bourgeois dans le fasciste ; dans l'anarchiste, du dandy. Et du stoïcien."


jeudi 3 novembre 2005

Morsure bleutée crocs froids du loup
sur la nuque
Le point rouge de ta cigarette et l'angoisse en moi petit point rouge aussi
comme un coeur épris palpite
On ne choisit pas son enfer

Nuit lucide
dans le noir, les yeux des veilleurs étincellent
Tu veilles aussi sans doute
Nous sommes deux exilés sur la peau de la nostalgie
Insomniaques guettant le point du jour
Mais chez nous c'est la vie qui jamais ne dort.

jeudi 27 octobre 2005

La Nausée (fin)


"Dire qu'il y a des imbéciles pour puiser des consolations dans les beaux-arts. Comme ma tante Bigeois : "Les Préludes de Chopin m'ont été d'un tel secours à la mort de ton pauvre oncle." Et les salles de concert regorgent d'humiliés, d'offensés qui, les yeux clos, cherchent à transformer leurs pâles visages en antennes réceptrices. Ils se figurent que les sons captés coulent en eux, doux et nourrissants et que leur souffrances deviennent musique, comme celles du jeune Werther; ils croient que la beauté leur est compatissante. Les cons."

La Nausée


"Si seulement je pouvais m'arrêter de penser, ça irait déjà mieux."

"C'est la demie de cinq heures qui sonne. Je me lève, ma chemise froide se colle à ma chair. Je sors. pourquoi ? Eh bien, parce que je n'ai pas de raisons pour ne pas le faire. Même si je reste, même si je me blottis en silence dans un coin, je ne m'oublierai pas. Je serai là, je pèserai sur le plancher. Je suis."

"Je ne les écoute plus : ils m'agacent. Ils vont coucher ensemble. Ils le savent. Chacun d'eux sait que l'autre le sait. Mais comme ils sont jeunes, chastes et décents, comme chacun veut conserver sa propre estime et celle de l'autre, comme l'amour est une grande chose poétique qu'il ne faut pas effaroucher, ils vont plusieurs fois la semaine dans les bals et dans les restaurants offrir le spetacle de leurs petites danses rituelles et mécaniques...

Après tout, il faut bien tuer le temps. Ils sont jeunes et bien bâtis, ils en ont encore pour une trentaine d'années. Alors ils ne se pressent pas, ils s'attardent et ils n'ont pas tort. Quand ils auront couché ensemble, il faudra qu'ils trouvent autre chose pour voiler l'énorme absurdité de leur existence. Tout de même... est-il absolument nécessaire de se mentir ?"

"Chacun d'eux fait une petite chose et nul n'est mieux qualifié que lui pour la faire. Nul n'est mieux qualifié que le commis voyageur, là-bas, pour placer la pâte dentifrice Swan. Nul n'est mieux qualifié que cet intéressant jeune homme pour fouiller sous les jupes de sa voisine."

"Il a de l'âme plein les yeux, c'est indiscutable, l'âme ne suffit pas. J'ai fréquenté autrefois de ces humanistes parisiens, cent fois je les ai entendus dire "il y a les hommes", et c'était autre chose ! Virgan était inégalable. Il ôtait ses lunettes, comme pour se montrer nu, dans sa chair d'homme, il me fixait de ses yeux émouvants, d'un lourd regard fatigué, qui semblait me déshabiller pour saisir mon essence humaine, puis il murmurait, mélodieusement : "Il y a les hommes, mon vieux, il y a les hommes", en donnant au "Il y a" une sorte de puissance gauche, comme si son amour des hommes, perpétuellement neuf et étonné, s'embarrassait dans ses ailes géantes.

Les mimiques de l'Autodidacte n'ont pas acquis de velouté; son amour des hommes est naïf et barbare : un humaniste de province."


"L'humaniste radical est tout particulièrement l'ami des fonctionnaires. l'humaniste dit "de gauche" a pour principal souci de garder les valeurs humaines; il n'est d'aucun parti, parce qu'il ne veut pas trahir l'humain, mais ses sympathies vont aux humbles; c'est aux humbles qu'il consacre sa belle culture classique. C'est en général un veuf qui a l'oeil beau et toujours embué de larmes; il pleure aux anniversaires. Il aime aussi le chat, le chien, tous les mammifères supérieurs. L'écrivain communiste aime les hommes depuis le deuxième plan quinquennal; il châtie parce qu'il aime. Pudique, comme tous les forts, il sait cacher ses sentiments, mais il sait aussi, par un regard, une inflexion de sa voix, faire pressentir, derrière ses rudes paroles de justicier, sa passion âpre et douce pour ses frères. L'humaniste catholique, le tard-venu, le benjamin, parle des hommes avec un air merveilleux. Quel beau conte de fée, dit-il, que la plus humble des vies, celle d'un docker londonien, d'une piqueuse de bottines ! Il a choisi l'humanisme des anges; il écrit, pour l'édification des anges, de longs romans tristes et beaux, qui obtiennent fréquemment le prix Fémina.

ça, ce sont les grands premiers rôles. Mais il y en a d'autres, une nuée d'autres : le philosophe humaniste, qui se penche sur ses frères comme un frère aîné et qui a le sens de ses responsabilités; l'humaniste qui aime les hommes tels qu'ils sont, celui qui les aime tels qu'ils devraient être, celui qui veut les sauver avec leur agrément et celui qui les sauvera malgré eux, celui qui veut créer des mythes nouveaux et celui qui se contente des anciens, celui qui aime dans l'homme sa mort, celui qui aime dans l'homme sa vie, l'humaniste joyeux, qui a toujours le mot pour rire, l'humaniste sombre, qu'on rencontre surtout aux veillées funèbres. Ils se haïssent tous entre eux : en tant qu'individus naturellement - pas en tant qu'hommes."

"J'ai perdu mon apparence d'homme et ils ont vu un crabe qui s'échappait à reculons de cette salle si humaine. A présent, l'intrus démasqué s'est enfui : la séance continue. ça 'agace de sentir dans mon dos tout ce grouillement d'yeux et de pensées effarées."

"La Nausée ne m'a pas quitté et je ne crois pas qu'elle me quittera de sitôt; mais je ne la subis plus, ce n'est plus une maladie ni une quinte passagère : c'est moi."

"Toutes choses, doucement, tendrement, se laissent aller à l'existence comme ces femmes lasses qui s'abandonnent au rire et disent : "C'est bon de rire" d'une voix mouillée; elles s'étalaient, les unes en face des autres, elles se faisaient l'abjecte confidence de leur existence. Je compris qu'il n'y avait pas de milieu entre l'inexistence et cette abondance pâmée. Si l'on existait, il fallait exister jusque-là, jusqu'à la moisissure,à la boursouflure, à l'obscénité."

Ce passage qui me fait penser au vers "comme Bijen dans sa prison de chair" :

"Je rêvais vaguement de me supprimer, pour anéantir au moins une de ces existences superflues. Mais ma mort même eût été de trop. De trop, mon cadavre, mon sang sur ces cailloux, entre ces plantes, au fond de ce jardin souriant. et la chair rongée eût été de trop dans la terre qui l'eût reçue et mes os, enfin nettoyés, écorcés, propres et nets comme des dents eussent encore été de trop : j'étais de trop pour l'éternité."
La nausée

La Mort

Ravissante définition de jankélévitch : "Être évacué de la tête aux pieds."

lundi 24 octobre 2005

La Nausée


"Voilà ce qu'il faut éviter, il ne faut pas mettre de l'étrange où il n'y a rien. Je pense que c'est le danger si l'on tient un journal : on s'exagère tout, on est aux aguets, on force continuellement la vérité."

"Tout à l'heure, comme j'allais entrer dans ma chambre, je me suis arrêté net, parce que je sentais dans ma main un objet froid qui retenait mon attention par une sorte de personnalité. J'ai ouvert la main, j'ai regardé : je tenais tout simplement le loquet de la porte."

"Eux aussi, pour exister, il faut qu'ils se mettent à plusieurs."

"Je sais tout cela, mais je sais qu'il y a autre chose. Presque rien. Mais je ne peux plus expliquer ce que je vois. A personne. Voilà : je glisse tout doucement au fond de l'eau, vers la peur."

"Quand j'écrivais, sous la date, "Rien de nouveau", c'était avec une mauvaise conscience : en fait une petite histoire, qui n'est ni honteuse ni extraordinaire, refusait de sortir. "Rien de nouveau." J'admire comme on peut mentir en mettant la raison de son côté."

"Elle souffre en avare. Elle doit être avare aussi pour ses plaisirs. Je me demande si elle ne souhaite pas, quelquefois, d'être délivrée de cette douleur monotone, de ces marmonnements qui reprennent dès qu'elle ne chante plus, si elle ne souhaite pas de souffrir un bon coup, de se noyer dans le désespoir. Mais, de toute façon, ça lui serait impossible : elle est nouée."


samedi 8 octobre 2005

Voix séraphique



Alfred Deller dans l'agnus dei de la Messe en si. Saisissement. Cette voix qui n'est ni de femme ni d'homme, ni d'enfant ni d'adulte, voix hors-humaine, peut-être est-ce la voix que l'on entend dans le choeur des anges. J'écoutais cet agnus dei que je connais bien, et je l'entendais d'une façon si nouvelle, la façon d'articuler, si calme, un peu lente, soutenue, pas de rajout dans le drame, les notes pures. Cette voix comme du velours suffit à tout. Et en même temps cette sobriété si intense, est de la virtuosité pure. Il y a quelque chose de "de ce que je pourrais faire dire à Bach et que j'ai choisi d'omettre en chantant", mais qui du coup est chargé de tout ce qu'il a omis. Plus que le violon, que le violoncelle, la voix est l'instrument le plus "surhumain" qui soit.

A l'ombre des jeunes filles en fleur

En attendant je me replonge dans ce volume de la Recherche. J'en raffole toujours autant. Il y a des romans que je savoure, mais de l'extérieur, comme devant un bon film qui se déroulerait sous mes yeux. Et d'autres qui m'habitent ou que j'habite. Me voilà, entre deux temps de lecture, à songer au boeuf froid de Françoise, à me demander pourquoi finalement, aurait-il été vulgaire de servir du chocolat avec du thé au goûter, et à penser aux toilettes d'Odette Swann, et à la sonate... bref, je suis dedans et je le serais tout le temps de la lecture; j'adore le monde de la Belle Epoque c'est sûr, car j'adore tous les mondes futiles et surranés voués à la catastrophe. Mais il n'y a pas que ça. Un autre roman qui me fait ça est La Montagne magique. Je me demande si je n'ai pas tout simplement le goût des atmosphères confinées, des mondes clos, protégés. Un paradoxe pour moi, mais un monde alcôve à la Proust, où je n'aurais plus qu'à écrire et à mourir à la fin, est pour moi une tentation. Et aussi la fascination de ces univers codés par l'étiquette, où l'on a rien à choisir, où chacun joue son rôle, et du coup le connaît.

A part ça, lu Calculating God. Le premier tiers m'a paru très drôle, savoureux. Le deuxième un peu longuet et rempli d'intrigues parallèles et inutiles qui ne menaient à rien (l'attaque du Museum). Le dernier est carrément chiant et la fin décevante, voire nulle. L'auteur a calé finalement devant son sujet. Car le face à face avec Dieu retombe dans la couillonnerie habituelle propre à la SF quand elle fait de la métaphysique. ça se termine toujours par un moutard.

Il a raté son coup parce qu'à la fin ça n'aurait pas dû être une explication lourdingue astro-biologique, mais de la métaphysique pure, voire de la mystique. Si l'on décide de traiter de Dieu, eh ben allons-y carrément, mais c'est avec l'imagination et l'intuition qu'on s'en sort avec un sujet pareil.

A part ça, ça m'a quand même servi à identifier mon alien. C'est un wreed.

vendredi 7 octobre 2005

La nausée


Entendu à la radio, à propos de La Nausée, de Sartre : "Les salauds, ce sont les gens qui font les choses comme il faut."

dimanche 2 octobre 2005

Administration ottomane

Ou l'inefficacité moulée dans le règlement, envers et contre tout.

Hier en gare, 1er octobre, bien sûr TOUS les guichets automatiques sont HS. Un seul guichet humain (personne n'est venu en renfort, faut pas pousser) et une file de 50 personnes. Environ 35 minutes de queue, de quoi louper deux trains si on manque de bol, puisqu'il y en a toutes les demi-heures. Eh bien au lieu de laisser les portillons électroniques libres, comme les jours de grève, non, non, non, un keuf à matraque et à air mauvais patrouille sur le quai pour surveiller les "resquilleurs", c'est-à-dire pour la plupart des gens prêts à le payer leur billet, mais comment ?

Pour faire bonne mesure une escouade de contrôleurs est montée dans un train qui est parti quasi vide, la plupart des passagers faisant encore la queue à l'intérieur de la gare.

La SNCF c'est l'administration ottomane sur la fin : incapable d'assurer correctement son service, devant une crise, au lieu d'assouplir ou de passer par dessus les règles, pour que justement ça continue à fonctionner, la réponse se traduit par l'expression de la force volant au secours d'un règlement devenu absurde puisque inapplicable.

lundi 26 septembre 2005

Anna Akhmatova


et dans ces poèmes, des vers qui se suffisent, comme des éclats à isoler, très haïkus :

"une fête dorée,
un réconfort."

(1909)

"Tu respires le soleil, je respire la lune.
Mais nous ne vivons que d'amour."

(1913)

"Silence dans la grande pièce,
Derrière la fenêtre, il gèle.

1914)

Mais il y a aussi ces scénettes , qui me font penser à quelque nouvelle de Nabokov :

"Tu tiens une pipe noire; étrange
Cette fumée, au-dessus de nous...
Moi, je porte une jupe étroite
Pour paraître encore plus mince."

"Les fenêtres, pour toujours condamnées :
à cause de la gelée, ou de l'orage ?
Tes yeux sont pareils aux yeux
D'un chat prudent."
(1913)

Et ce poème entier que j'aime beaucoup, parce qu'il m'amuse :

"Il aimait trois choses dans la vie :
Les chants pour les vêpres, les paons bleus
Et les vieilles cartes d'Amérique.
Il n'aimait pas les pleurs des enfants,
Il n'aimait pas le thé aux framboisess
Ni l'hystérie des femmes.
Et j'étais sa femme."

9 novembre 1910, Kiev.

in Requiem et autres poèmes

mercredi 21 septembre 2005

Des Souris et des hommes


Beau morceau, petit joyau tragique et pur, sobre, impeccable. La recette de cette sobriété tient sans doute de ce que la tragédie n'est pas annoncée dans les gestes et paroles des personnages (qui eux espèrent toujours que ça va bien se passer) que dans le souffle du vent dans les sycomores, qui annoncent la tragédie. Steinbeck, c'est comme le Kim Van Kieu, les personnages jouent leur partie, plutôt optimistes, et le vent dans les arbres nous avertit que l'orage arrive. Dans le Kim Van Kieu comme chez Steinbeck, le vent dans les arbres, c'est le choryphée, mais le choryphée qui aurait une longueur d'avance sur l'action, c'est Cassandre en fait.

mardi 20 septembre 2005

On s'en fout

Oprah Winfrey ne boycotte plus Hermès.

Démocratie

On était en mars et c'était pourtant l'hiver encore, un des plus froids que j'ai connu. Dans ce trou du cul du monde à la frontière iranienne. Dans la ville, des congères d'un mètre de neige, et l'hôtel sans chauffage, avec un lavabo minuscule dans la chambre, et son filet d'eau glacé, qui allait nous dissuader de nous laver. Ce qui fait qu'entre garde à vue à l'hôtel, arrestation, expulsion, pendant 4 jours, on promènerait nos cheveux gras et nos fringues froissées et sales, de vrais clodos.

Dans leur bureau, aussi glacé qu'à l'extérieur, plus encore, un seul poêle avec une chaleur quasi-inexistante. Je garde mon anorak et fourre mes mains dans mes poches en frissonnant. Autour, les militants, pas mal d'anciens combattants, ça se voit tout de suite, en blouson et chaussures de montagne, décontractés. On boit du thé bouillant, morceau de sucre dur entre les dents (bonjour les carries dentaires, ai-je pensé).

C'est alors qu'il est entré dans le bureau.

Splendide.

Par moins dix (température ressentie en tous cas), costume sombre, chemise claire, cravate élégante. Rien d'autre, pas même une gabardine.

J'ai beau le détailler je ne vois pas le moindre défaut, pas le plus petit laisser-aller. Ses cheveux noirs, épais, avec des fils blancs sont impeccablement coupés, sa moustache toute aussi soignée. Une gravure de mode.

Le maire de cette ville, dans son bureau politique.

Qui va être arrêté cette nuit. Il le sait, il nous le dit. D'ailleurs ils vont tous être arrêtés, ils le savent.(Et nous consignés à l'hôtel et expulsés mais ça on le sait pas, et d'ailleurs ça n'a aucune importance).

Et donc ce splendide député-maire sera arrêté ce soir et va passer la nuit (et plusieurs peut-être) au poste, entre les mains de la douce police et peut-être des forces spéciales qui, cagoulées, patrouillent la ville et l'extérieur. Et lui, parce qu'il est MAIRE, ELU DEMOCRATIQUEMENT, au lieu de s'habiller en chaud, met son beau costume de député en attendant que les brutes qui eux, se torchent avec la démocratie, viennent l'embarquer et le foutre dans une cellule aussi froide (et même plus) que son bureau, le foutre à poil aussi sans doute, le tabasser peut-être, en riant bien "t'as l'air malin hein monsieur le maire avec ta démocratie dans l'anus ?"

N'empêche, classe jusqu'au bout des ongles, les yeux noirs, pétillants, avec cette malice spéciale un peu fataliste mais jamais dure des gens bien qui en bavent, il nous offre ses marlboro, boit le thé, sans grelotter dans ses vêtements alors que moi j'ose à peine sortir une pogne de mes manches.

Parce que ce que l'on va l'arrêter cette nuit, c'est la démocratie, monsieur, pas un combattant, pas un révolutionnaire qui pourrait brailler sa haine du système toute la nuit , mais un MAIRE ELU.

Dans les campagnes électorales, déchiquetés à la grenade par les Sections spéciales le soir d'un meeting, ou bien avec 14 balles dans le corps quand on vient sonner à leur porte, ou bien torturés en garde à vue, n'empêche, ils seront plusieurs comme ça : costume-cravate, programme électoral en main, affiche, fonction en bandoulière et respectabilité affichée et outrée qui attire les coups sur la gueule : je suis député, maire, président de parti, président de syndicats, je suis ELU.

J'apprécie les bons combattants mais je ne les admire pas. j'aime profondément les gens des réseaux, les résistants et leurs rendez-vous la trouille au ventre. Mais ceux que j'admire vraiment, ce sont les civils qui assument leur fonction de civilité. Parce qu'ils ne peuvent même pas se défendre. Cible vivante, ils sont le porte-drapeau des batailles, tout le monde peut leur tirer dessus, ils n'ont pas le droit de répondre, ils sont les règles, la loi, la démocratie.

Zarathoustra vs Fritsch et cie

Dans l'article de Bataille "Nietzsche et les fascistes", Georges Bataille a beau jeu de lacérer cet amalgame pénible Nietzsche/antisémitisme. Il philosophe à coups de marteau en faisant gueuler en lettres capitales quelques vérités sorties de la plume de Nietzsche lui-même. Ainsi :

NE FREQUENTER PERSONNE QUI SOIT IMPLIQUE DANS CETTE FUMISTERIE EFFRONTEE DES RACES !

(Vlan dans les surhommes pâlichons aux fantasmes celto-germaniques qui font hin hin devant les colosses noirs :"c'est pourtant nous la race supérieure, les brutes blondes, Nietzsche 'l'a dit").

Mais ce cri du coeur est plus remuant, emplit d'émotion pour peu que l'on aime Zarathoustra :

MAIS ENFIN, QUE CROYEZ-VOUS QUE J'EPROUVE LORSQUE LE NOM DE ZARATHOUSTRA SORT DE LA BOUCHE DES ANTISEMITES !

De fait, Zarathoustra, le prophète de midi, le danseur d'or dans l'azur du vide, Zarathoustra antisémite, ça me fait rire, tellement c'est con. Mais lui, non, ça ne le fait pas rire.

dimanche 18 septembre 2005

Le Voyage de Chihiro

Le genre de film dans lequel je me sens si bien qu'il me semblait être rentrée chez moi. Tombée sous le charme du bel Haku. Donc je rectifie : je n'aime pas les hommes beaux, sauf les garçons splendides et courageux aux yeux verts.

samedi 17 septembre 2005

Les jaunisses que déclenchent le succès de Houellebecq sont assez marrantes. On se plaignait que les gosses ne lisaient et on hurle sur le "marketing Harry Potter". Idem pour Houellebecq, les Français lisent peu et dès qu'ils achètent, rien ne va plus, c'était pas le bon livre (le livre qui a du succès n'est jamais le bon, par définition). Moi ça me fait toujours plaisir quand un écrivain cartonne, quand on en parle autant qu'un film, qu'un CD, enfin tous ces autres "produits de consommation". Je dois avoir l'esprit corporatiste, ce qui est peut-être pire qu'élitiste.

vendredi 16 septembre 2005

Portrait chinois

Si j'étais un vers unique :

"Oh, que ma quille éclate ! Oh, que j'aille à la mer !"

Je ne sais pas si c'est mon préféré. Mais c'est celui qui me secoue le crâne le plus souvent.

mardi 6 septembre 2005

Eclat de rire


"La mine qu'il faisait rappela à Burt Clayton le jour où son oncle adoptif, militant acharné de la suprématie de la race aryenne, avait été informé après une greffe du foie réussie que son donneur d'organe était juif."

Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.