samedi 18 septembre 2004

Mes enfants ne sont pas comme les autres




J'ai adoré ce film. Vraiment très beau. Ou est-ce que je le trouve vraiment très beau parce qu'il me touche pour diverses raisons ? Pour ceux que la musique classique barbe, peut-être qu'il es horriblement ennuyeux. Car c'est son côté technique que j'aime. J'avais l'impression de sentir l'odeur de la colophane, et cette volupté quand l'archet attaque, mange les cordes. Et les crampes aux doigts, aux mains, et cette dureté des répétitions, et cette justesse toujours limite... Très bonne idée d'avoir choisi le violoncelle, le plus sensuel le plus chaud le plus parlant des instruments. C'est la musique qui compte, les images sont pauvres, même pas belles au fond, sauf les visages des deux jeunes musiciens, à la fois impénétrables et pourtants expressifs dans leur immobilité, pourtant comme ceux des Vierges flamandes, au même sourire silencieux, presque imbécile. Oui, le même visage souriant et muet des Vierges d'Annonciation à qui l'ange vient dire "Tu es l'Elue", et qui offre le même visage soumis, le corps soumis, à un grand destin.

Le mystère Alexandre. Son côté lunaire, obscur, irréel. "Tu es ailleurs" lui dit son grand-père, à celui qui semble pourtant le plus doux, le plus obéissant. Le petit frère traître qui se rachète ensuite, en y sacrifiant sa main, mais en y gagnant à la fin l'école et un tambour. Bien que tout ne soit pas percé en lui, qu'on ne sache pas, par exemple, d'où lui vient cette passion pour les maréchaux napoléoniens, pour les tambours.

Adèle. Passage drôle, de l'idylle adolescente, rebelle, à la vie en ménage et à la prise de bec. La tribu vous rattrape toujours, "retourne chez ces dingues". Difficile d'être en ménage quand on est un phénix qui ne veut pas renoncer à l'excellence mais voudrait tout de même roucouler au nid. Est-ce qu'il faut renoncer ? Car devant la dureté de l'entraînement, la cruauté, les coups moraux (comme le père de Beethoven battait son fils, voilà) on se dit "est-ce que cela en vaut la peine ?" et puis : "est-ce qu'être si durement dressé donne l'excellence ?" La réponse, à la fin, donnée par Gerald reprenant l'orchestre du Père, la réponse d'Adèle est oui, nous ne sommes pas comme les autres. Un oui qui va à l'encontre de la morale hédoniste ambiante : "l'important c'est d'être heureux, pas le meilleur". Et là, la réponse est non, et je crois aussi que non, pour un talent de second ordre, peut-être, mais pas si l'on est voué à l'excellence, quand il faut aller tout en haut, en haut de soi, de son sommet, quel qu'en soit le prix. Il faut voler, toujours, que ce soit en amour, en musique, en écriture, en peinture, quand on décide d'être grand, il faut être plus que cela, exceptionnel, sinon, ça ne sert à rien, ou ça ne sert qu'à demi, ce qui est pire, bien sûr il y a un prix à payer, mais cela vaut ces quelques minutes de décollage où l'on atteint l'absolu de ce que l'on peut donner. Bête de dressage, bête à souffrance d'abord et pour finir étoile.
J'aime aussi quand le terrible grand-père, si cassant, si odieux, parle avec douceur à son orchestre, de Brahms, de la façon dont il faut jouer la III° symphonie... "Brahms vous savez, était gros et lent, il parlait lentement..." , quand il leur dit d'oublier qu'ils sont Français, qu'il ne faut pas être léger, spirituel... "Halmbourg, pensez à Hambourg, aux bourgeois d'Hambourg...".

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Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.