lundi 3 novembre 2003

La voix de Vladimir. Déchirante, rageuse, rauque, épouvantablement et merveilleusement sortie des tripes. Cette voix-là c'est comme s'il était vraiment tous ces personnages, le soldat russe de 42, le boxeur K.O, celui qui croupit dans un hôpital soviétique des années 70, le taulard.... Vladimir est un des plus grands chanteurs du 20° siècle, et ici personne ne le connait.


Les cabans noirs

Nous avons laissé derrière nous des défaites, des crépuscules
Si seulement il y avait eu un envol insignifiant, même insivible.
Je veux croire que nos cabans noirs
Me permettront aujourd'hui de voir l'aurore.

Aujourd'hui on nous a dit devant les gens :"Mourez héroïquement !"
On essaiera, d'accord ! On verra comment ça tournera.
Mais j'ai pensé en fumant des cigarettes qu'on m'avait passées :
Chacun fait ce qu'il peut, moi ce que je veux, c'est voir l'aurore.

Un commando spécial, c'est un honneur spécial pour un sapeur.
Ne me tombez pas dessus du haut des arbres avec un poignard.
Pas la peine de vous donner du mal : même la gorge ouverte
Je verrai aujourd'hui l'aurore jusqu'au bout.

On a traversé les arrières, en se retenant pour ne pas égorger les ennemis endormis.
Et soudain j'ai remarqué en coupant les barbelés avec les dents
Un tournesol encore nigaud, tout vert, mais sensible
Qui avait déjà tourné sa tête vers le levant.

Derrière mon dos à six heures trente sont restés, je le sais
Non seulement des défaites et des crépuscules mais aussi des envols et des aurores.
Je dépouille en grimaçant deux fils avec mes dents.
Je n'ai pas vu l'aurore mais je sentais qu'encore un peu et elle serait là.

Le commando revient sur ses pas, décimé.
Ce qui s'est passé n'a pas d'importance : ce qui est important, c'est d'avoir fait sauter le fort.
Je veux croire que notre sale travail
Vous permettra de voir maintenant sans entraves l'aurore.


La voix de Vladimir, même si l'on ne comprend pas les mots russes de ses chansons, déchire l'âme comme une histoire connue, que l'on reconnaîtrait, toutes les plaies de nos âmes, une peine familière et intime comme l'Elégie op 24 de Fauré pour violoncelle et piano parle sans mot. Vladimir est le chanteur de ceux qui boivent le "lait noir de l'aube", comme dit Paul Celan.

Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.